7.10.17

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La nullité est si flagrante, évidente, qu’on se demande comment elle ne provoque pas pour seule réaction un soupir de lassitude : encore ? Et comment il se trouve, au contraire, des gens pour la vouloir commenter, pis, l’aimer combattre alors même qu’il va de soi qu’il n’y a rien contre quoi lutter dans une telle nullité. Or, c’est tout le problème de la nullité, elle est si nulle qu’on ne peut pas lutter contre elle, elle s’échappe en quelque sorte par en-dessous, elle se situe toujours en-dessous, définit chaque fois la nouvelle norme de l’en-dessous, du nul. Les images d’un homme qui signe des papiers d’un air satisfait en regardant la caméra, deux hommes qui se serrent la main en souriant (ils regardent eux aussi la caméra), une femme qui hurle sur une autre femme qui pleure devant la caméra, un homme pétri de son importance qui en appelle à venir en aide aux faibles aux sans-maisons aux réfugiés sous l’œil de la caméra, des anonymes qui ont l’air étonné quand ils reconnaissent leur image dans l’écran géant, les mêmes qui font des signes pour dire bonjour, mais à qui disent-ils bonjour ? À l’humanité ? À l’éternité ? Il y a l’apparence de quelque chose et, pourtant, non. Non que ce soit non plus le néant, un autre état que tu pourrais désirer. Non que ce soit le faux, auquel tu pourrais opposer une vérité. Non, ce n’est ni rien ni quelque chose, c’est le tiers-état de l’ontologie, des images transparentes qui ne laissent rien transparaître parce que le fond de leur vacuité est manifeste, évidemment là.

Le tiers-état de l’ontologie est l’état de ce qui se trouve au-dessous de l’être et du non-être, tout en se rendant présent partout, en se répandant sans cesse. Tu peux passer tes journées à regarder le ciel qui n’est jamais ni bleu ni gris qui change tout le temps plus vite même que ton regard ne le peut saisir ou tu peux regarder les images qui tournent en boucle toujours les mêmes sur des écrans qui ne te regardent pas.

Je me suis toujours demandé comment il était possible d’admirer quelqu’un qui vous ignore, qui ne sait même pas que vous existez, qui ne le saura jamais, qui vit même de cette ignorance, qui se nourrit de l’anonymat qui est le vôtre, et ainsi vous dévore. Il me semble que je n’ai jamais admiré que des corps, des gens en chair et en os, des personnes avec qui je pouvais parler. Les phantasmes lointains ne valent rien en matière d’admiration. Ce ne sont que des fantômes. Et les fantômes, comme Nelly et moi nous l’avons expliqué à Daphné, les fantômes, ça n’existe pas.