Combien de temps se posent les questions ? Une fraction de seconde, une journée, un an, toute une vie ? Quand on a une idée, quelqu’un vient, qui nous dérange. Et quand on n’en a pas, on reste là, seul, à attendre que quelque chose se passe, mais rien. On a la fois trop de temps et pas assez. On pense à la fois trop et pas assez. On vit à la fois trop et pas assez. Je passe mon temps à chercher l’équilibre, une certaine forme d’équilibre, mais c’est impossible, il y a toujours quelque chose qui penche, menace de tomber, s’effondre. Trop seul, je deviens fou. Trop de monde, je deviens fou. Ainsi l’alternative. Trop de solitude et pas assez de solitude. Trop de monde et pas assez de monde. Trop d’idées et pas assez d’idées. Et puis, je me suis déjà fait cette réflexion un certain nombre de fois, assez grand, ce nombre, il y a des lieux qui permettent de penser, qui libèrent la pensée, qui stimulent la pensée, et puis d’autres, non, qui la menacent, au contraire, l’éteignent. Il en va des lieux comme des gens. Je peux être le plus parfait des imbéciles en société et écrire des centaines de pages de poèmes quand je suis tout seul. Je peux me taire et écouter quelqu’un parler et ne pas supporter entendre quelqu’un bavasser. Chaque pas dans une direction semble en provoquer un autre dans le sens contraire. Je sais ce qu’on pourrait objecter : que c’est toujours soi-même qui empêche, qu’on n’a jamais d’autre ennemi que soi-même. Certes, les truismes pleuvent comme les mauvais romans à Paris en septembre, mais qui se soucie de celui qui a une idée, qui se soucie de celui qui s’efforce de penser, qui prend en considération celui qui s’efforce de lire un livre qui demande de la concentration, qui s’intéresse au sort de celui qui essaie d’écrire une phrase qui ne soit pas destinée aux rayons des grandes surfaces, morale de supermarché ? Non que j’aime la compagnie des gens de lettres — j’aurais plutôt tendance à l’exécrer —, mais où est-ce que tu peux espérer être vraiment toi-même ? Et c’est qui, ça, vraiment toi-même ? Et quand tu trouves enfin un peu de temps pour mener à bien ce que tu t’imagines être une tâche digne de toi, au beau milieu de l’après-midi, il fait si chaud que tu t’endors et que tes rêves sont d’absurdes élucubrations sur des étendues d’eau couvertes de moustiques assoiffées de sang. La probabilité que la vie soit bien faite est infime, en fait, et les ennemis sont partout, mammifères ou non. L’intelligence est une petite tache sur un immense mur blanc : elle détone, et il ne serait pas étonnant que quelqu’un vienne, une éponge à la main, pour l’effacer.
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