3.8.20

N’est-ce pas étrange, me suis-je fait remarquer ce matin, qu’il faille un permis pour conduire un véhicule automobile, mais qu’il n’en faille aucun pour piloter un organisme aussi complexe qu’un être humain ? Organisme que l’on est pourtant. Si c’est bien moi qui ai eu cette idée, je ne sais pas si c’est une idée de moi ou non, mais qu’importe ? Elle ne brille pas particulièrement par son intelligence, aussi mieux vaut penser qu’elle est de moi. J’étais en train de courir. La veille au soir, au moment de m’endormir, je m’étais dit que le lendemain matin, j’irai courir, et c’est ce que j’ai fait. Mais je ne l’ai pas fait seulement pour aller courir, pour faire, comme on dit, de l’activité physique, mais parce que cette activité, je l’intégrais à un régime de mon organisme grâce auquel un certain nombre de choses devraient s’ensuivre. Pensée qui n’a rien de magique. Un organisme ne se pilote pas, mais on peut se donner une direction, imaginer un chemin. Enfin, quelque chose comme ça. Je ne sais pas exactement ce que cela veut dire. Commencer par rêver quelque chose, même quelque chose de très vague, quelque chose qui s’exprimerait en réponse à une insatisfaction profonde, comme en ce moment : de me sentir loin de ce que je voudrais faire, d’être maintenu à distance de moi-même en quelque sorte, par les circonstances, par des circonstances, une forme d’incompréhension de moi qui circule en passant par l’incompréhension des autres, le sentiment d’être mal à l’aise où je suis, de ne pas trouver les conditions extérieures à l’épanouissement de ce que je voudrais faire — écrire, écrire, écrire. Alors peut-être que, trop souvent, j’accuse le monde quand je suis moi le seul coupable, mais peut-être aussi que les choses ne sont pas aussi simples que cela, comme cette sorte d’intuition, ces derniers temps, qui me murmure je si je pouvais composer de la musique, le problème ne se poserait pas de la même façon. Non, mieux : qu’il ne se poserait pas du tout. J’ai toujours cru en la supériorité de la musique. Que les mauvais musiciens donnent des philosophes et les mauvais philosophes, des écrivains. Je n’ai pas d’argument en faveur de cette affirmation, qui n’est sans doute rien de plus qu’une boutade, mais ce qui se pose à travers les questions que je me pose (musique, philosophie, littérature, pour le dire vite), c’est la question de la forme. Le problème ne vient-il de cela que je n’ai pas le temps, le temps ou l’espace, que je n’ai ni le temps ni l’espace nécessaires pour écrire quelque chose, parce que je n’ai pas la forme qui pourrait donner libre cours à ce que je cherche à écrire ? L’insatisfaction face à ces phénomènes d’incompréhension, de climat, d’atmosphère, de lieu, de personnes, etc. ne serait que l’expression d’une absence de forme, que je cherche, qu’il m’arrive de trouver, que j’ai déjà trouvée, mais que je ne retrouve pas en ce moment. Ainsi, la sorte de poème que j’ai commencé avant de venir ici, au-delà des interruptions banales et de l’interruption que constitue ce changement de lieu, souffre de ce défaut, me semble-t-il, qu’il n’a pas de forme, comme s’il s’agissait d’un organisme vertébré privé de vertèbres : il peut se manifester dans des poussées orgiaques, mais il ne peut pas progresser, il est condamné à n’être que cette chose qui jaillit. Et puis se tarit.

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