10.4.21

Depuis la fenêtre ouverte me parviennent les effluves âcres de Kingston sur Huveaune. J’en ouvre une autre pour créer un courant d’air afin de chasser cette désagréable odeur de l’appartement et, par cette dernière, après avoir fermé la première, contemple le ciel gris dont la blancheur m’aveugle. Parmi les choses qui me fascinent dans la Recherche, cette manie de Swann de trouver des ressemblances entre les personnes et les personnages des tableaux, comme dans ces magnifiques pages où Swann voit sa femme comme un Botticelli et où, poussant la manie jusqu’à l’obsession, il lui offre une écharpe identique à celle que porte la Vierge dans la Madone du Magnificat ou bien une toilette qui évoque la Primavera du Printemps. Lisant ces pages, j’ai interrompu ma lecture pour revoir l’image de la Madone et j’ai été pris de frissons. Devant la beauté de la femme peinte qui semble, en fonction de la façon dont on regarde le tableau, éclipser la toile. En me souvenant aussi de ce séjour à Florence où Daphné s’était assise devant la Naissance de Vénus aux Offices, qu’elle avait hâte de voir « en vrai ». Malgré la fin de l’amour, Swann « aimait encore en effet à voir en sa femme un Botticelli », écrit Proust. Plus belle et pire à la fois influence de l’art dans nos vies : la réalité se forme et se déforme au gré des images qui se superposent à elle et à travers lesquelles nous la voyons. Mais que voyons-nous ? J’entends des oiseaux roucouler et tout semble si indifférent ; tout à moi et moi à tout. Hier soir, avant de me coucher, j’ai eu une idée sur moi-même dont la formulation, sur le moment même, m’a paru particulièrement juste. Mais alors que je me brossais les dents, celle-ci m’a échappé et depuis je ne parviens pas à la retrouver. Je manque cruellement de volonté. Raison pour laquelle, probablement, je n’accomplirai jamais rien. Mais est-ce que ce « manque de volonté » n’est pas une excuse que je me trouve ? Est-ce qu’il ne vient pas masquer un plus profond « manque de talent » ? Lequel n’est pas une maladie dont on espère toujours pouvoir guérir, mais une lacune de l’être. Et malheur à qui en est affligé.