Le meilleur régime politique, c’est durant mon enfance que je l’ai connu, dans cette forme de « communisme méditerranéen » qu’organisait ma mère. Ce régime s’articulait autour d’une échelle de valeurs qui plaçait au plus bas degré l’argent et au plus haut ce qu’on appelait alors « la culture », pour laquelle à cette époque il y avait même des maisons, mais qu’il n’aurait jamais fallu cesser de désigner par son vrai nom : l’art. Non sans une certaine intransigeance morale, qui évitait le puritanisme parce qu’il était solaire et jamais triste, le communisme de ma mère était foncièrement antireligieux, raison pour laquelle je ne fus pas baptisé, radicalement antiaméricain, raison pour laquelle je fis une demi-douzaine de voyages aux USA durant mon adolescence, et avait pour ennemis principaux la bêtise, l’hypocrisie, le mensonge, ce qui lui faisait mépriser l’idéologie de droite, le racisme et la xénophobie sous toutes leurs formes, qu’elles soient ordinaires ou institutionnelles. Si elle hérita de mon grand-père, communiste et résistant, qui devint secrétaire général de la CGT dans le Var à la Libération avant d’être exclu du Parti pour fêter le soixante-dixième anniversaire de Staline, les grands traits de sa conception du monde, elle y importa l’italianisme d’une grand-mère immigrée d’origine piémontaise. Ainsi, toute une partie de ma vie m’a-t-elle toujours paru tournée vers l’Italie, moins comme une terre originelle, ce genre de concepts « enracinés » n’entrant pas dans les éléments du communisme méditerranéen, mais comme une source et un horizon. La supériorité de ce régime tenait notamment en cela que, si antireligieux qu’il fut, il n’interdisait pas d’arpenter les étouffantes rues de Rome, l’été, pour en découvrir les églises, bien au contraire : il l’encourageait. J’ose à peine le dire, mais il me semble que le tort de ma mère fut de renoncer à lui quand, dans les années 80 et 90 du siècle dernier, la gauche française se fracassa contre le mur du pouvoir pour s’effondrer dans une acceptation docile et complaisante du capitalisme. D’où ces études absurdes que je dus faire (une filière économique et une classe préparatoire aux grandes écoles de commerce) pour finalement y renoncer et retrouver, mais par quelle via smarrita, et après quel temps perdu, les principes qui n’avaient jamais vraiment cessé d’être les miens. Est-ce que j’idéalise ce temps ? Sans doute un peu, mais pas tant que cela, car il n’allait pas sans incompréhension, sans contradictions aussi, et que j’en ai conscience. Ce que je sais, en revanche, c’est qu’il est en moi, qui détermine mon sens de la justice et mon sens esthétique. Chaque fois que je me trompe, c’est que j’ai renoncé à lui, je crois, à cette utopie dont il était porteur, qui n’a peut-être plus le moindre sens aujourd’hui, mais à laquelle je n’ai aucune envie de renoncer.

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