Je voudrais écrire un poème, un poème ou un livre quelconque, qui contienne sa propre négation, qui soit quelque chose comme une élégie optimiste ou une ode à la mort, mais dont la négation n’entraînerait pas l’annulation, non, au contraire, un poème qui sera un livre et qui se maintiendra dans cette contrariété, qui se contiendra lui-même et sa propre négation, sans être toutefois la somme de ces parties, impossible sans doute d’écrire un tel poème, un tel livre, me dis-je écrivant mon journal, notant au feutre rouge des phrases au verso de pages déjà imprimées, c’est à lui pourtant que je pensais, marchant dans les collines qui longeaient le bord de mer, croisaient des calanques sur cette rive-ci du pourtour méditerranéen. Il était encore assez tôt quand je me mis en marche, à peine plus de 9 heures du matin, et ce paysage idyllique semblait irréel, je marchais sans savoir où j’allais, et il l’était, sur le chemin du retour, déjà, ce ne serait plus le même paysage, plus le même pays, l’espace entre la calanque et l’île en face ressemblerait à l’autoroute du soleil, va-et-vient incessant des bateaux, moteurs qui beugleraient sur quelques voiles discrètes, fil incessante des gens qui viendraient, marcheraient avec difficulté, sembleraient perdus alors que tout le chemin est balisé, sans oublier l’inséparable chien, pourquoi faire tant de difficultés dans le seul but s’agglutiner ? Plus un instant de silence. Le même monde, vu de deux façons différentes, les mêmes endroits qui ne se ressemblent jamais. Dans le poème que je commençai d’écrire tout en marchant, il devait y avoir deux phrases qui diraient : heures de marche / pour cinq minutes de solitude, et c’est précisément cela : l’illusion du monde, la croyance en une certaine réalité qui a disparu depuis si longtemps qu’il faudrait des siècles à présent pour la retrouver. Un peu avant, toujours marchant, je m’étais imaginé une sorte de roman de science-fiction dans lequel l’humanité se donnerait un siècle pour défaire tout ce qu’elle aurait fait depuis homo sapiens avant que, au terme de ce siècle, elle ne s’éclipse dans une cérémonie au déroulement fixé dès le commencement, le grand suicide, planifiant ainsi sa propre disparition plutôt que de la subir comme toutes les autres espèces. L’oiseau qui piaille m’empêche de compter. J’ai la même musique en tête depuis des jours, mais ne suis pas certain de vouloir l’écouter.

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