1.6.21

Congédier tout ce qui n’est pas de mon ressort. Ces innombrables parasites qui occupent la majeure partie du volume du monde qui m’environne. Si je prête attention à tout ce qui me déplaît, me heurte, tout ce que je trouve dégoûtant, repoussant, indigne, stupide, indigent, je me trouve complètement envahi, colonisé par le dehors de l’humanité prochaine. C’est la figure grimaçante du réel quand je me promène dans les rues, le masque souriant jusqu’au grotesque que revêtent les gens qui ont quelque chose à me vendre dans l’espoir honteux de faire l’actualité. Le déversement incessant d’informations sur l’esprit de qui n’a rien demandé (et certainement pas autant). Pour prendre possession de moi. Toute une culture de la laideur. Or, comme je ne peux pas ne pas y prêter attention, ce qui reviendrait en effet à singer l’indifférence, à affecter de n’être pas, de ne pas sentir, ni ressentir, de ne pas vivre, alors que je suis, sens, ressens, vis, et qu’il ne me convient pas que tout cela s’arrête, il faut laisser passer, laisser se dissiper, considérer ce parasitisme institutionnalisé pour ce qu’il est, je suppose, un mal nécessaire. L’idée que la majeure partie du volume du monde qui m’environne soit un mal nécessaire n’est probablement pas une idée des plus réjouissantes, mais qu’elle ne soit pas réjouissante, cela n’implique pas qu’elle ne soit pas vraie. Quand on a mis le doigt sur une vérité, il ne faut pas l’en retirer au prétexte que c’est désagréable. Le monde est désagréable, pas qui dit : « le monde est désagréable ». Pourquoi dès lors ces yeux rivés sur le mot et cette ignorance de la chose ? Parce que la vérité est une propriété des phrases ? Sans doute, mais ce qui m’intéresse, ce sont les phrases et les choses, pas la vérité comme fétiche. Je pourrais employer un autre mot à la place, cela ne ferait aucune différence. Hier, je me suis adressé aux mouches. Je leur ai dit : Écoutez, les mouches. Je sais que vous n’avez pas un cerveau énorme (Est-ce que les mouches ont un cerveau ? me suis-je demandé en prononçant cette adresse à mes Érinyes domestiques), mais si vous ne cessez pas de venir me troubler ici, en mon aérienne demeure, je vais toutes vous tuer. Au nom de l’amour qu’il faut bien que vous ayez d’une manière ou d’une autre pour votre espèce, faites passer le message, et allez voir ailleurs. Est-ce que les mouches m’ont entendu ? Je ne sais pas. (Est-ce que les mouches ont des oreilles ? me suis-je demandé en composant cette phrase.) Je ne le crois pas. J’en ai vu une, à l’instant, qui voletait, insouciante, au-dessus du fauteuil rouge du salon. Sans dire un mot, je me suis levé, je me suis armé du livre à couverture souple dont je m’étais servi les jours précédents, et d’un revers majestueux, j’ai projeté la mouche au sol. Je me suis dirigé vers elle. L’ai observée qui, étendue sur le dos, remuait ses pattes. Serait-elle morte des suites de ses blessures si je l’avais laissée là sans plus agir ? Toujours est-il que je me suis rendu dans la cuisine. Je me suis muni d’une feuille de papier essuie-tout. Et, de retour dans le salon, je me suis saisi du corps ou cadavre de la mouche avec le papier et je l’ai jetée à la poubelle. Ce qui, je le crains, ne leur servira pas de leçon. Pauvres bêtes.