2.6.21

Est-ce la saturation qui m’empêche de chanter ? Images, informations, et finalement : paralysie. Hier, lisant la chartreuse de Parme, j’ai été pris d’angoisse, soudain, à l’idée que mon avenir n’avait rien d’assuré. Financièrement (c’était à cela que je pensai, en effet, dans mon éclair d’abattement), c’est même tout le contraire. La catastrophe. Au contraire de mon frère, par exemple, qui gagne très bien sa vie. Et moi qui, vieillissant, ne semble pas progresser, pas avancer d’un pouce. Régresse, même. Avant, j’avais un travail, un salaire, j’étais humilié du matin au soir, certes, déclassé comme peu le furent, oui, c’est vrai, et comme beaucoup sans doute le seront, mais j’occupais une place, je jouais un rôle dans la société. Homme utile. Et à présent ? Quelle est ma contribution au bon fonctionnement de la vie sociale ? Ce matin, j’ai vu les choses d’un œil quelque peu différent. Impossible optimiste que je suis. Non, je ne gagne pas un centime, oui, j’œuvre dans une indifférence quasi totale (et les happy few ne cotisent malheureusement pas pour ma retraite), mais ce que j’ai fait jusqu’à présent, et ce que je fais, et ce que je ferai encore, n’est-ce rien ? Du point de vue du monde social, absolument, ce n’est rien. Mais est-ce le seul point de vue ? Moi, je suis enclin à répondre que non. Mais ce que je pense, moi, qui s’en soucie ? Ce qui importe, ce sont les autres. Or,  il suffit de les écouter d’une oreille distraite pour connaître leur position, on ne peut plus claire : réussir sa vie, c’est gagner le plus d’argent possible. Le reste n’a même pas droit de cité. Admirable travail de conditionnement des esprits. On s’attendrait tout de même à ce qu’en descendant dans les couches les plus basses, les plus pauvres de la société, des opinions différentes trouvassent à s’exprimer, mais non. Partout, du sommet à la base du postmoderne pharaonisme social, une seule et même idée. Fixe malgré l’apparente mobilité de toute chose. Dans la chartreuse de Parme, je note que Stendhal fait remarquer qu’en Italie, la pauvreté n’est pas une tare sociale, « pas un ridicule », dit-il. Souhaité-je être pauvre ? Ce n’est pas la question, mais une de hiérarchie des valeurs. De l’économisme universel. Nulle place pour rien d’autre. Si saturé de sons, d’images, de phrases ineptes, qu’il me semble que je ne puis plus savoir qu’écrire. Je ne sais que tenir ce journal hideux. Vais-je bien gâcher ma vie aujourd’hui ? En saccagerai-je bien le récit ?