Je bâille. Et je n’ai pas envie de faire autre chose. Il y a, certes, ne le nions pas, ce serait vain, toutes les raisons du monde de faire autre chose, de faire quelque chose, comme l’exige de nous une politique toujours plus productiviste, comme le réclament ces gens qui se font une fierté de travailler beaucoup, ou ces économes prêtres de la croissance et de la reprise, dévots qui fustigent nos mauvaises habitudes et, prenant les sinistres accents de furibonds directeurs de conscience, adressent du haut de leur chaire médiatique leur prêche au petit peuple des manants esbaubis, dénonçant ces criminels Français qui travaillent moins que les autres peuples plus durs au mal, plus âpres au gain, plus avares, plus mesquins, plus barbares. Mais je n’ai pas envie de les écouter. J’ai cessé de bâiller. Ce n’était paresse ni ennui. Quelque chose dans l’air de mon temps, étranger au temps qu’il fait (toujours ce ciel voilé, épais nuage de lait dans un océan de bleue clarté qu’il ternit). Je rêve d’une Italie fantasmée, élevée ainsi au carré, d’une Grèce mythique, d’un monde ouvert sur la mer où les va nus pieds ne sont pas de pauvres vagabonds à qui l’on jette des pierres pour qu’ils déguerpissent, mais des artistes, des philosophes, des poètes. Monde qui n’exista jamais, mais est-ce une raison de ne le pas désirer ? Des raisons pour ou des raisons contre, on n’en trouve tant que l’on veut, il suffit de les chercher. Ce n’est pas d’elles que nous avons besoin. Mais de quoi ? Je frissonne à l’idée. Ou est-ce autre chose ? Qui sait ? L’aventure pour l’aventure dans la chartreuse de Parme a quelque chose d’étonnant. Comme si, en dépit des péripéties, il ne se passait rien. Comme si le roman, malgré son apparente vitesse, n’avançait pas. Il faut attendre la deuxième partie pour que quelque chose se produise enfin, pour que Clélia croise une nouvelle fois Fabrice et que, ne sachant que lui répondre, elle s’éprenne de lui. L’événement le plus important du roman, ainsi, n’est pas un événement, pas un drame, pas un meurtre, pas une trahison, pas une bassesse ; c’est un silence. Dans ce roman qui est tout de vivacité, tout en effusions, traits, répliques, calculs, manigances, conspirations, chevauchées, fuites, bonds et rebondissements, c’est une absence, un manque de répartie, un trou qui est le véritable nœud de l’intrigue. Comme dans la meilleure de nos vies ?

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