Étrange sensation de calme. Sensation ou sentiment ? Il n’y a guère que ce grincement qui se fait entendre à intervalles réguliers qui dérange l’atmosphère paisible de cette fin de printemps. Parfois, en passant parmi les arbres, parfums si capiteux qu’il me semble que je vais étouffer. Tilleuls en fleurs, notamment. Entêtement du monde. Est-ce que le fait que cette paix soit en grande partie le fruit d’une illusion de la perception, parce que la terre entière est en guerre, en réalité, change quoi que ce soit à ce que je ressens ? Est-ce d’ailleurs une illusion, ou alors simplement une perception partielle du monde ? À vrai dire, je ne suis pas certain qu’elle soit seulement partielle, pour la décrire correctement, il faudrait la montrer du doigt et déclarer à quelqu’un qui serait disposé à écouter : C’est celle-ci, mais il n’y aurait rien à montrer, ce n’est pas quelque chose qui se montre, c’est quelque chose qui montre, montre que tout est en ordre, que tout se tient, que rien n’est à rejeter, tout à accepter. Sauf que, nouvelle restriction qui prouve malgré elle la logique implacable de la réalité, personne n’écoute ; il ne sert à rien de parler. Tout à l’heure, allant faire des courses, j’ai entendu un type dans une voiture qui hurlait sur un autre dans une camionnette. Il est venu se mettre à sa hauteur et s’est mis à crier des phrases du genre : Qu’est-ce tu fais là, oh ! Tu te crois où ? Dégage, ah, dégage ! Scène banale de la vie quotidienne à Marseille, bête et hideuse comme partout ailleurs. La vie quotidienne est une bête hideuse. En observant rapidement, certes mais un peu plus attentivement toutefois, il s’est avéré que les deux véhicules appartenaient en fait à la même société d’entretien des espaces verts, de sorte que ce n’était pas un inconnu qui hurlait avec une telle vulgarité sur un autre inconnu, comme c’est généralement le cas sur les routes de France, mais des gens qui se connaissaient, et que cette vulgarité, cette agressivité, cette violence, dès lors, il se pouvait fort qu’elle fût en passe de devenir la norme des échanges sociaux. Beaucoup de haine, et peu, voire pas, d’amour. Pour qui s’y intéresse même de loin, l’entretien des espaces verts ressemble à s’y méprendre à une entreprise méthodique de destruction de l’atmosphère : ce sont des machines pourvues de moteur à essence qui rasent tout ce qui dépasse, sans aucune mesure, sans aucun sens esthétique : là où il y avait quelque chose, tout doit disparaître. À la place de jardiniers, des employés acharnés à ne rien laisser debout après leur passage. Est-il étonnant qu’affairés à de telles tâches désherbantes, les êtres développent des comportements déshumanisants ? Politique de la tondeuse à gazon. Haine de la végétation. Même auprès des populations qui se prétendent les plus moralement avancées, les pamangeurdeviandes, il me semble que le végétal demeure l’étranger, par excellence, — inaccessible et lointain. Est-ce étonnant ? S’il venait à être conçu comme possédant des qualités morales, une personnalité, il ne leur resterait plus qu’à se laisser mourir de faim. (Divine perspective.) Pourtant, cette force de la plante qui pousse est la nature même : croissance, changement, progrès et retour, transformation, métamorphose. Voici le vivant, a-t-on envie de dire devant le bourgeonnement, la pousse. Et qui demeure étranger à cette énergie, demeure étranger à la vie.

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