Pas d’informations ni de réseaux en tout genre aujourd’hui. Plus par rébellion (contre moi-même, j’entends) que par indifférence (même si, entre l’une et l’autre, il n’y a guère de différences). Quelquefois, mouvement réflexe, je tends la main pour et puis je la retire d’un coup, comme si je m’apprêtais à toucher quelque chose qui allait me brûler, un danger, quelque chose dont il faut que je me préserve à tout prix mais dont, par la force de l’habitude, sous l’effet de la pression du monde social, j’ai oublié de me protéger. Mon premier téléphone portable, ce n’est pas moi qui l’ai acheté, on me l’a offert, moi, je n’en voulais pas, cela ne m’intéressait pas, ou alors était-ce par esprit de contradiction ? peu importe, mais il fallait en avoir un parce que tout le monde en avait un ou parce que tout le monde devait en avoir un ou parce que tout le monde allait en avoir, de toute façon, tautologie du monde social, de cette fausse nature. Et aujourd’hui, tout le monde essaie de trouver comment s’en passer. Qui doutera, pensant à cela, de l’absurdité absolue du monde social ? — De sa bêtise fondamentale. — Car, nous n’agissons pas d’une certaine façon pas parce que nous avons de bonnes raisons de le faire ; nous agissons d’une certaine façon parce que c’est ainsi que tout le monde le fait. Mais d’où viennent de tels comportements ? D’un certain point de vue, des appareils comme les téléphones portables sont des symboles du progrès : ils rendent matérielle cette idée abstraite. Enfin, on peut toucher l’abstraction. Peu importe de quelle nature est l’invention, du moment qu’on invente quelque chose. De même qu’on envoie des gens dans l’espace pour ne rien faire qu’être dans l’espace, on invente des objets pour ne rien faire qu’être consommés. C’est cela, le tourisme universel. Je n’ai aucune bonne raison d’être là où je suis, mais j’y suis quand même. Je n’ai aucune bonne raison de faire ce que je fais, mais je le fais quand même. Pourquoi ? Parce qu’il faut y être. Parce qu’il faut le faire. J’exagère ? Vraiment ? D’un autre point de vue, les objets comme les téléphones portables sont des machines destructrices, de réelles armes d’abrutissement, des outils d’uniformisation. Mais ça, déjà, c’est du passé. On ne s’interroge même plus sur les causes de l’intoxication, rien que sur la façon de vivre avec. Il faut faire un effort pour vivre une vie qui ne soit pas parasitée de l’extérieur par quantité d’informations et d’opinions (en vérité des approximations et des barbarismes érigés en idéologie globale) dont je n’ai pas besoin et dont je ne sais pas quoi faire (dont je ne sais pas quoi parce que je n’en ai pas besoin, et inversement). Malgré les apparences d’une propagande plus ou moins adroite, le monde social globalisé qu’impose le réseau omniprésent ne libère pas : partout où je suis, je suis bombardé de messages et ceux qui les diffusent savent tout le temps où je suis, de sorte que je ne suis plus jamais seul — la sociabilité est permanente, elle ne connaît pas d’interruptions, seulement des pannes temporaires à l’énoncé desquelles, sur les réseaux d’informations, se constitue l’événement. Qu’il faille se faire violence pour échapper à la violence de la sociabilité perpétuelle est une troisième violence que le monde social m’inflige. Tout mon univers est structuré par des problématiques qui ne sont pas les miennes, qui me sont étrangères (au sens propre comme au sens figuré), mais avec lesquels il faut que je vive. Qui n’est pas en prise avec son temps, en phase avec son époque, ne présente aucun intérêt : sans même qu’elle soit impossible (mais elle représente un coût supplémentaire dont on doit pouvoir se passer pour maximiser le profit), sa difficile marchandisation vaut disqualification a priori. Aussi, tout devient-il de plus en plus simple, non que le progrès résolve les problèmes, mais ils coûtent cher et, quand on en a les moyens, mieux vaut s’en passer. Et de qui les pose.

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