17.6.21

C’est Nelly qui m’a appris qu’il n’était plus obligatoire de sortir de chez soi masqué. Mais tu le sais d’où ? lui ai-je demandé dans une formulation approximative (c’était le matin). Ce à quoi elle a répondu : On en parle partout. Sauf que moi, ne m’informant plus, ne fréquentant plus les réseaux, comment aurais-je pu le savoir ? Eh bien, tout simplement comme ceci : en parlant. Comportement qui semble presque déplacé au regard des immenses progrès accompli par l’espèce humaine en ce premier quart de siècle, non ? Je trouve. Certains imaginent des implants pour communiquer à distance, et moi je parle à mon épouse. Quel arriéré je fais. À quoi j’occupe mes journées, dès lors, si je ne m’informe plus ? Eh bien, je cours dix kilomètres chaque matin, tôt, très tôt, parce qu’il fait chaud, très chaud, je relis ma traduction de Morton Feldman, tâche éprouvante, s’il en est, j’en ai vraiment plus qu’assez, je tiens mon journal, et puis je m’abrutis devant une série qui était à la mode il y a, il y a je ne sais pas combien de temps, 10 ans ? environ. J’ai des projets de lecture, mais je n’en ai pas la force. Pas plus que je n’ai la force d’entreprendre quoi que ce soit. Est-ce l’effet des premières chaleurs, comme on dit, qui, comme on dit, arrivent toujours d’un coup ? Que se passerait-il si elle en arrivait en plusieurs ? Question du genre : que se passerait-il si quelque chose d’impossible se produisait ? comme on en trouve dans la presse et sur les réseaux, mais je n’informe plus, je ne m’intéresse plus, je ne fréquente plus. Mais alors qu’est-ce que tu fais ? Je ne sais pas encore. Guillaume vient de m’envoyer le fichier annoté de la vie sociale. Qui devrait paraître l’année prochaine. Quand j’ai reçu son courrier, non, quand j’ai reçu son courrier, j’étais en train de courir, et je me suis dit tu vas voir qu’il va trouver une raison de ne pas publier ce livre, ce livre est maudit, j’ai continué de courir, et quand j’ai ouvert, j’ai pensé à un texte de règlements de compte que je pourrais écrire pour dire à tous ces béotiens qui n’ont pas cru en mon texte et qui ont grandement contribué au ralentissement considérable de ma naissante absence de carrière littéraire tout le mal que je pense d’eux, et c’est vrai que j’en pense, et pire encore que je ne puis l’écrire, mais ce serait trop négatif. Trop négatif. N’est-ce pas cela que je me suis dit, en effet, au moment de m’endormir, hier soir, qu’il fallait que je découvre le moyen de convertir le négatif en positif ? Alchimiste postmoderne, quoi. Et puis, j’ai pensé que je n’avais pas lu la dialectique négative d’Adorno qui, cependant que j’écris, se tient cachée dans mon dos, mais aurais-je la force de la lire par cette chaleur ? Probablement pas. Et ensuite, j’ai pensé à la poussée, comme on dit d’une plante, pas d’un paquet d’avants en mêlée, en réponse à la question de savoir comment on fait pour continuer à vivre alors même que tout semble conspirer à nous convaincre de ne plus, la poussée, me suis-je répondu à la question de savoir comment convertir le négatif en positif, ce qui pousse une plante à sortir de la terre la plus impropre, la plus hostile à la végétation, la terre qui végète et qui, sous la poussée de la poussée, ne végète plus, non, mais croît, la conversion du négatif (la croissance) en positif, la poussée.