26.6.21

Ce matin, avant même de me lever, encore dans mon lit pas tout à fait éveillé, j’ai formulé pour moi-même deux propositions critiques, ou une proposition critique double, dans laquelle étaient mises en parallèle deux formes d’expression qui, à première vue, pouvaient sembler étrangères l’une à l’autre, l’art contemporain et la publicité, mais qui, c’était ce qu’espérait montrer ma proposition critique, en réalité, expriment la même chose, et j’allais les fixer dans ma mémoire pour les consigner par écrit un peu plus tard ici quand, par une forme de lassitude anticipée, j’ai laissé tomber ces formulations pour, pour rien, justement, sinon le compte-rendu rétrospectif que j’en donne à présent, plus ou moins bien éveillé, je ne sais pas trop, ma lassitude anticipée m’ayant sans doute sauvé de quelque chose de pire que ce que ma proposition critiquait, le fait de vivre dans ses fantasmes et non pas dans la réalité. Toute thérapie, quelque forme qu’elle prenne, ne devrait-elle pas, soit dit en passant, commencer par là ? L’exposition claire et sans ambiguïté de la différence réelle qui existe entre mes fantasmes et la réalité. C’est tout à fait comme ces listes que certains, s’imaginant qu’ils ont quelque chose à apprendre aux autres, sans que personne ne leur ait rien demandé, ces listes que certains dressent pour expliquer comment bien écrire. En fait non, pas comment bien écrire, how to write good, dans ce merveilleux ameringlish, amer anglais, qui est désormais notre lingua universalis, forme bâtarde d’universalisme et de relativisme, et qu’en suivant, on est sûr d’une chose seule, de même pas écrire good, de ne pas écrire du tout. Personne ne me demandant rien à moi non plus, pourquoi le dirais-je quand même ? D’autant que je n’ai pas de cause supérieure à faire triompher, pas d’idéologie à promouvoir, pas d’orientation socioreligiosexuoéthicoethnique à défendre, pas d’ennemi à abattre non plus, ou alors un ennemi d’une immensité telle et d’une taille si réduite, d’une présence à la fois si aveuglante et invisible, que cette cause toute d’oxymores est sans effet. Personne ne me demande rien parce que personne n’a envie d’entendre que le problème (tous les problèmes) est à la fois très simple et très compliqué, qu’il ne faut pas plus de temps pour le résoudre que pour claquer des doigts, mais qu’il faut répéter ce claquement de doigts toute sa vie durant. Tu ne peux pas aimer la vie et le confort, ces deux choses ne vont pas ensemble, d’ailleurs, tu le sais très bien, dès que tu préfères ton petit confort à la vie, tu grossis. Dès que les gens commencent à penser comme toi, aies la certitude que tu te trompes : c’est toi qui penses comme eux. C’est cela, le confort : penser comme tout le monde. C’est tout à fait comme écrire en capitales d’imprimerie DÉCONSTRUISEZ-VOUS ! à des interlocuteurs abstraits parce que tu es convaincu de connaître la vérité, d’avoir un accès direct à elle que les autres, tous ceux à qui tu désires crier DÉCONSTRUISEZ-VOUS ! n’ont pas, les pauvres, il faut les sauver. La position du missionnaire est confortable parce que, t’y tenant, tu as toujours raison. Les choses étaient très claires dans ma tête dans mon lit, ce matin, un peu trop claires, sans doute, quand elles sont trop claires comme ça, sans avoir rien fait, il y a quelque chose de suspect, les choses ne se font pas toutes seules, ce serait formidable, pourtant, mais c’est ainsi. C’est tout à fait comme ce type, un voisin qui, parce que j’ai dû avoir la gentillesse d’échanger deux ou trois mots avec lui un jour par inadvertance et, ensuite, de prendre des nouvelles de sa santé, le voyant blessé, ce type qui se croit autorisé à m’interpeler dans la rue, sans même me dire « bonjour », comme si nous étions des copains ou je ne sais trop quoi, et moi, qui me sens obligé de lui parler depuis que nous avons pris cette exécrable habitude d’échanger deux ou trois mots quand nous nous croisons, comme le font les gens sympathiques, c’est-à-dire toujours un peu sur le ton de la plaisanterie, pour signifier une proximité qui n’existe pas, je lui parle effectivement, faisant semblant de rire quand il s’imagine faire une remarque comique, mais n’omettant jamais, de finir ma phrase par bonjour, cela même par quoi il aurait dû la commencer. Il ne manquerait plus qu’il me tutoie. Remarque marginale : Toute culture se voulant désormais populaire, comment ne pas vouloir honnir toute culture ?