16.4.22

Encore 29 jours. Si j’en crois les chiffres. Et les chiffres ne trompent pas. Les chiffres ne se trompent pas. Si j’en crois les chiffres, et les chiffres ne trompent pas, les chiffres ne se trompent pas, dans 29 jours, j’aurai vaincu la malédiction : dans 29 jours, cela fera 365 jours que j’écris sans discontinuer. Il y a 336 jours, donc, je n’avais pas écrit. Je me souviens très bien des raisons pour lesquelles je n’avais pas écrit ce jour-là, je n’ai pas besoin de consulter la page du journal du lendemain pour m’en souvenir, je me souviens très bien des conditions dans lesquelles je n’avais pas écrit, et c’est peu dire que je regrette ce manquement au regard de ce qui s’est produit par la suite, tout comme je me souviens du sentiment troublant que j’avais ressenti, cette culpabilité inédite, car n’étant liée à aucun principe moral indépendant de moi, aucune loi morale au-dessus de moi, simplement à une forme de fidélité que je me dois à moi-même, à une sorte de pacte avec moi-même, un contrat que j’avais rompu. Encore 29 jours et je me serai racheté vis-à-vis de moi-même. Qu’est-ce que je ferai après ? Je continuerai. Cela ne me semble guère faire de doute, je continuerai d’écrire jour après jour. Cette fidélité à moi-même, qui que ce soit ce moi au juste, j’entends par là que ce moi n’est pas autre chose que ce qui s’invente dans l’écriture, cette fidélité à moi-même est d’autant plus importante que ce moi qui s’invente dans l’écriture, c’est tout ce à quoi je puis me fier : je n’ai pas les honneurs des plateaux télé comme Leïla Slimani, je n’ai pas les honneurs de la critique comme Laura Vazquez, j’avance seul, sans masque, grand ouvert à un monde fermé, j’avance, et la condition pour continuer d’avancer, c’est de ne rien laisser m’arrêter. Pas foncer, non : tenir le cap. Idée importante parce qu’elle est tout à la fois éthique et esthétique, avec elle la différence supposée entre ces deux domaines de la vie humaine se trouve dépassée. Et c’est dans cette réconciliation, réconciliation qui est le dépassement de la politique, c’est-à-dire : le dépassement de la guerre civile (au regard de l’humanité, toute guerre est une guerre civile), c’est dans cette réconciliation entre l’éthique et l’esthétique que la vie devient réellement vivable.