La légèreté de l’esprit. 33.

M’en étant allé courir, comme tous les jours, pour tenter l’impossible, battre la mort, ou (plus prosaïquement) lutter contre le mal par excellence des temps postmodernes : l’obésité — trop de graisses, trop de références, trop de sucres, trop de sources, trop de produits chimiques, trop d’émissions de dioxyde de carbone, trop d’emballages en plastique, trop de travailleurs exploités, trop de distance, trop d’idées, trop de mensonges, trop de vérités, trop de tout, trop de rien, et caetera —, m’en étant allé courir, je revenais en longeant la rivière qui coule non loin de la maison, quand je croisai un homme assis, les yeux rivés sur son téléphone. Quand il m’entendit, ou sentit ma présence, il me jeta un regard furtif, puis replongea dans son écran. Un chiot lui était attaché par une corde. Lui aussi, il me regarda, mais il réagit à mon apparition en allant se cacher entre les jambes de son maître, qui lui lança un sévère et menaçant : Eh oh, tu fais quoi, là ? que je trouvai déplacé. Le chiot aussi, qui eut peur, me sembla-t-il, et quitta le refuge qu’il avait trouvé. Il n’y aura pas d’abri pour toi sur cette terre, petite bête. Ce n’est pas ce que je pensais sur le moment, mais en écrivant seulement. Après avoir dépassé cet étrange couple, j’eus l’intuition que l’homme, parlant ainsi à son chien, devait parler ainsi à tout le monde, femme et enfants, s’il en avait (pourvu que ce ne soit pas vrai), comme à des bêtes.