10.7.22

Est-ce qu’il faut continuer ? Est-ce que c’est important ? Important pour moi, oui, mais en soi ? Où est-ce en soi ? À l’intérieur du non-moi ? Qui est-ce ? Aucune idée, je ne l’ai jamais vu de ma vie. Alors que faire ? Poser la question, pas l’émettre, non la poser dans l’écriture, c’est une façon de donner une réponse. Depuis que je me suis levé, les yeux mi-clos, je me demande si je vais avoir la force d’écrire aujourd’hui, la force physique et morale, si je vais trouver ce qu’il faut de patience, de détermination, de constance, de discipline et, oui, ne nous mentons pas à nous-mêmes, camarade, d’inconscience pour ce faire. Je survole sans grande conviction des pages que j’ai écrites aux alentours de l’an dernier. Qu’est-ce que cela m’inspire ? Je ne sais pas, — que je n’écris pas pour me relire ? Et puis, c’est étonnant, dès que je me mets à écrire, je me redresse, c’est le corps, je me sens alerte, quelque chose s’allume en moi qui épouse la dynamique de l’écriture. Peut-être que, l’instant après avoir écrit, je m’endormirai, ce qui ne serait pas un mal, la chaleur est abrutissante et les cymbales des cigales m’assomment, mais en attendant, je suis tendu. En silence, je prends un ensemble de décisions, mais sans me moquer de moi, parce que ces décisions, je les ai toutes prises déjà, sans jamais m’y tenir, faut-il donc que tout se répète ? ce n’est pas ce que je dis, mais le fait de ne pas me moquer de moi au moment où je prends ces décisions, c’est une façon de me faire confiance, de croire encore en moi. Et oui, sans doute, c’est parfaitement ridicule. Tant pis. Sous le chant des cigales (du matin au soir, tout se trouve sous le chant des cigales, enfoui, ce qui signifie en revanche que la température ne descend pas sous un certain niveau), j’entends une sirène. Elle semble tourner sur elle-même, et je ne parviens pas à déterminer d’où elle vient, qui elle est, s’il s’agit d’une ambulance qui tourne à l’aveugle dans le quartier, si c’est un jeu auquel un enfant joue, un enfant qu’on voudrait rendre demeuré assurément, ou si c’est un adulte qui s’amuse avec quelque chose, oui, mais quoi ? impossible de le savoir. Je m’apprête à faire une remarque désobligeante, mais ne la fais pas. Repense à la place à ce que je me suis dit hier à moi-même — ne te plains pas —, et me demande : que signifie au juste ce « travail sur soi-même » dont parle Wittgenstein ? Je ne dis pas que c’est ce que Wittgenstein pensait en employant cette expression pour définir la philosophie, mais il me semble qu’un tel travail a trait à la violence, plus précisément à la violence tournée contre soi-même, comme dans l’expression qui dit « se faire violence » : « se faire violence », ce n’est pas « se forcer », ce n’est pas s’obliger à faire quelque chose qu’on n’a pas le désir de faire, ce n’est même pas être violent avec soi-même, c’est lié à l’idée d’aller contre soi, contre son naturel, pour aller plus loin que soi, plus loin que là où ce naturel nous porte naturellement. Il y a donc l’idée d’une contre-nature au sens non pas d’une anti-nature, mais de l’invention d’une nature meilleure que la nature : mon naturel me pousse à, et moi, je le repousse, je vais ailleurs, là où je ne suis pas allé, là où je ne suis pas nécessairement enclin à aller. En chemin, pour ainsi, je me défais de mes illusions, de mes fausses représentations, de mes idées toutes faites, de mes préjugés les plus solidement ancrés, et fabrique une nouvelle version du monde.