La légèreté de l’esprit. 74.

J’avais roulé deux heures, peut-être, pour me rendre au jardin. Mais une fois arrivé, voyant le petit peuple des voitures assemblées à l’entrée, je ne pus que renoncer. Je ne m’étais pas trompé, c’était bien là que je voulais aller. Mais ce n’était pas cela que je voulais, ou mieux : ce n’était pas ce là-là que je voulais, je voulais un autre là, peut-être pas exactement un au-delà (y en a-t-il ? n’y en a-t-il pas ? je ne le sais pas, et puis, c’est une question trop vaste ou trop restreinte, je crois, pour qu’on y réponde comme ça, autrement que  par un forse che sì forse che no qui avancerait pas à pas dans le labyrinthe), mais pas cette chose-là, ce territoire désastre où les gens se pressent en masse. Faire comme tout le monde, non, on ne peut pas y échapper. Chacun partage avec le reste de l’humanité l’immense majorité de ses propriétés — raison pour laquelle on fait bien de parler de nos semblables —, mais ce n’est peut-être pas une raison suffisante pour pratiquer cette cohabitation agglutinée. Le paradoxe de ce pays, aurais-je pu penser à ce moment-là, quand je décidai, sinon de rebrousser chemin, du moins d’aller voir ailleurs, mais je n’eus cette idée que plus tard, le paradoxe de ce pays, c’est qu’il est un désert, mais qu’on retrouve toujours tout le monde aux mêmes endroits. Or, un lieu à habiter, un lieu à visiter, de même, bien que cela puisse se trouver n’importe où, ce n’est pas n’importe où. Parfois, il vaut mieux laisser place libre. Aussi, je partis.