Où commence la trahison, la profanation ? Selon que je suis d’humeur plus ou moins pure, je place la frontière plus ou moins proche de moi. Et quelquefois, même, il me semble que tout ce qui se rend public profane, trahit la vérité qui se dit par ailleurs, me semble que tout ce qui excède les limites strictes tracées par ces pages couvertes de signes du carnet ment, et se prostitue. Qui ne désire pas cette pureté quasi absolue, quasi mystique, désire-t-il réellement la vérité ? Désire-t-il vraiment l’écriture ? Le signe ne rompt pas le silence, c’est la publication du signe qui le rompt. Et l’image, me semble-t-il de plus en plus, c’est elle, en réalité, qui s’oppose au silence. Pas la langue, pas le son ; — l’image. Qui n’en est saturé ? Il n’y a que pour l’image que l’on fait tant de bruit, tant et toujours plus. Tandis que des mots se peuvent chuchoter, que c’est en murmures que l’amour se dit au plus juste, l’image exige et consomme toujours plus. À telle enseigne que la véritable, que dis-je ? la seule décroissance possible et envisageable serait iconoclaste. Détruire. Alors qu’on s’en prend à des tableaux devenus muets depuis ces siècles dans leur musée enfermés et auxquels, il faut bien le dire, nous ne comprenons pas grand-chose, loin de défendre une cause, que fait-on ? On produit encore plus d’images. Armées de berkeleys hystériques pour qui rien n’est qui ne soit fait image vue. L’espace public n’est pas un espace de langage ; il est visibilité totale. Et rend aveugle. À force de tout nous montrer (« À bas les tabous ! » ), qui niera que nous voyions plus rien ? C’est comme un immense espace blanc, grand comme le monde, sur lequel nul signe ne se peut tracer, immaculé par excès et dont l’unique destin est le vide. Bientôt, c’est notre unique espoir, en effet, nous ne comprendrons plus rien. Et dans cette agnosie universelle, qui sait si quelque chose ne pourra pas se passer, de neuf, d’imprévu ? — Geste simple, et si nécessaire, après avoir écrit dans le carnet au bison rouge, de tailler le crayon. Que faire d’autre, après, que faire d’autre, qu’écrire ?