Un trop long hiver. Cela fait six mois que je n’avais pas couru aussi longtemps, me dit le registre des courses. Peut-on s’étonner dès lors que, du strict point de vue morphologique, je tienne plus de Silène que d’un satyre ? J’exagère. Qui s’imagine en effet le grand écrivain, disons Michel Houellebecq, la bite morose à l’air tourner dans un film porno ? On a les maîtres à penser qu’on mérite. À Wittgenstein qui se demandait jadis qui serait le grand satiriste de notre époque, on répondrait tranquillement que nous n’avons plus besoin de satire, l’époque s’en chargeant désormais elle-même à la perfection. Le sentiment qu’il n’y a plus rien à faire, la tentation de l’abandon, comme si nous avions été touchés collectivement par la disgrâce, cela peut nous tenter, oui, mais il ne faut pas y succomber, se laisser aller à un quiétisme désabusé. Tout est foutu, oui, c’est vrai, mais n’est-ce pas réjouissant ? Et si ce ne l’est pas, d’où vient ce sentiment de joie qui m’envahit ? Est-ce le printemps ? Mon article sur le Kafka de Reiner Stach pour le Temps accepté, si ce n’est ni la richesse ni la gloire qui m’attendent — j’allais dire : « Il est trop tard pour ça », mais c’est une idée imbécile, qu’est-ce que cela veut dire, « trop tard » ? c’est du néant —, il m’importe peu, moins en tout cas, que la joie que l’accomplissement me procure. On a envie de se dire : « Rien ne doit te faire renoncer », c’est un peu naïf, mais est-ce grave ? Mieux vaut la naïveté de qui n’a pas renoncer à croire en sa bonne volonté que tout le réalisme de la terre, les stations lunaires et les cryptomonnaies, le maintien de l’ordre et la légalité. Que tout ce monde soit à lui-même sa propre satire ne t’oblige pas à ricaner en chœur ni même à précipiter sa perte — si elle doit venir, ce sera en son temps, sinon tu auras fait ce qu’il fallait —, il n’y a rien d’autre à faire que continuer ton propre chemin : toujours, c’est lui qui te conduis.