Lamentations, requiems, messes pour les trépassés, non pour apaiser mon chagrin, mais pour tâcher de l’approfondir, de toucher le fond, c’est-à-dire. Toucher le fond, qu’est-ce à dire ? Ne sais, mais cherche. Sans rien dire, parfois, ou bien en écrivant avant que les nerfs lâchent ou quelque chose. C’est plutôt le ciel gris qui m’apaise, aujourd’hui, le parfum et la perspective des jours de pluie à la fin de la terre et la Toussaint. Viderunt omnes fines terrae salutare Dei nostri, n’ai-je pas écouté ce matin avant d’avoir fini d’écrire parce que les deux lignes mélodiques, celle de Pérotin et la mienne, ne pouvaient coexister sans se contredire, se détruire l’une l’autre, et je n’aurais pu ni écouter la musique ni écrire. Et puis, d’ailleurs, se contredire, c’était ce que la musique et l’écriture faisaient. La musique qui chantait : Tous les confins de la terre ont vu. Et l’écriture qui chantait : Nous avons vu tous les confins de la terre. L’une écrite pour célébrer la naissance (Noël), et l’autre pour pleurer les morts. Et pourtant, quand j’écrivais que nous avons vu tous les confins de la terre, ce que j’entendais, c’était le Viderunt omnes de Pérotin, c’était le chant que j’entendais parce que je n’étais pas en train d’écrire un simple roman, produit de consommation courante ou je ne sais quoi dans une France avachie, mais parce que j’étais en train de chanter mes visions. Si je touche mes doigts, ce sont mes nerfs que je sens et, chaque fois qu’un de mes doigts vient heurter une touche du clavier, c’est la crise de nerfs. Plus vite, plus vite, ai-je envie de me crier, mais je me contente d’écrire, je me concentre d’écrire, plus vite. Et puis, je relis tout cela, à haute voix, et je n’ai plus de voix, mais je continue quand même, et puis j’écris encore, et chaque fois que l’un de mes doigts heurte une touche du clavier, quelque chose éclate, comme l’orage éclate. Il faut que l’orage éclate. Il faut qu’il pleuve. Seul le ciel gris m’apporte un peu de paix. Il faut que le soleil disparaisse pour un jour, pour un mois, pour un an, aussi longtemps que cela sera nécessaire, il faut que le soleil disparaisse qui nous rend si veule, si plein de nous-mêmes. Disparais, soleil, cache-toi, et ne reparais pas avant que nous soyons transformés.