La lumière étant parfaite, ce matin, ce matin, j’ai eu l’idée d’aller prendre des photographies. Mais les photographies que j’ai prises, ce matin, ce n’étaient pas les photographies que je voulais prendre. Quand j’ai pris mon appareil photographique pour prendre les photographies que je voulais prendre, ce matin, celui-ci ne s’est pas mis en marche. J’ai trafiqué ce que je pouvais trafiquer sur place, mais rien n’y a fait. Et puis, quand je suis rentré à l’appartement, j’ai pris l’appareil pour tâcher de voir pourquoi il n’avait pas voulu prendre les photographies que je voulais prendre, ce matin, et l’appareil s’est mis en marche le plus normalement du monde, le plus simplement du monde. J’ai essayé de ne pas prendre ce dysfonctionnement suivi de ce fonctionnement pour un message que m’envoyait l’univers, ce matin, quand j’avais voulu prendre les photographies que je voulais prendre et que je n’avais pas pu prendre les photographies que je voulais prendre, j’avais hurlé (« La con de ta mère, ah ! », avais-je hurlé, en effet, car on ne se remet pas facilement d’une enfance marseillaise), et je ne voulais pas recommencer, je voulais garder mon calme, mon sang-froid, ce n’était pas un message de l’univers, c’était simplement un des aléas, insignifiants, de l’existence moderne. Au lieu des photographies que j’avais voulu prendre, la lumière étant parfaite, ce matin, à l’instant, je viens de regarder les photographies que j’ai prises avec mon téléphone portable à la place de celle que je voulais prendre avec mon appareil photographique et si l’on voit bien, je crois, que ce n’étaient pas les photographies que je voulais prendre, on voit bien aussi que la lumière était parfaite, alors qu’elle ne l’est plus du tout à présent que je regarde ces photographies et que je ne peux donc pas sortir pour retourner prendre les photographies que j’ai voulu prendre, ce matin, et que je n’ai pas pu prendre, ce matin, peut-être que, demain, je pourrais retourner les prendre, je n’en sais rien, cela ne dépend pas de moi, de les prendre ou de ne les prendre pas, mais du temps qu’il fait, du temps qu’il fera, du degré de perfection de la lumière et du bon vouloir, donc, puisque c’est à ceci que nous sommes réduits, nous humains qui vivons sur la terre à l’ère du règne des machines, du bon vouloir donc de mon appareil photographique. Ce qui me console, je crois que je puis dire ce que j’ai à dire ainsi, ce qui me console, c’est que les photographies que je voulais prendre, je ne voulais pas les prendre pour elles-mêmes, je ne voulais pas les prendre pour faire de jolies photographies, de jolies ou de belles photographies, mais pour une idée que j’ai, une idée qui n’est pas de l’ordre de l’image, mais du langage, pas de l’ordre de la photographie, mais de la langue, pas de l’ordre du spectaculaire, mais de l’imaginaire. Les photographies que je voulais prendre, ce matin, je ne voulais pas les prendre pour les prendre, mais les prendre pour ce que je pourrais voir, ensuite, écrivant ce que je voulais écrire, qui n’a rien à voir avec ce qu’il y avait à voir ou à en prendre en photographie, à voir ou à ne pas prendre en photographie, ce matin, dans ce cimetière de Paris où je me trouvais ce matin moins pour prendre des photographies que pour écrire. Des photographies de quoi ? Des photographies de qui ? Cela importe peu ; les images ne devaient être ni des images de la chose ni des images d’elles-mêmes, mais des degrés pour monter à la perfection. Qu’elles ne soient pas, peut-être seront-elles demain, cela n’empêchera pas le mouvement. Essayant en vain de faire ce que j’avais voulu faire, ce matin, dans le cimetière, je me suis demandé si je n’étais pas en train de me plagier moi-même, puisque des photographies de tombes d’écrivains morts, c’est ce que fait le narrateur dans Pedro Mayr, et peut-être que c’est vrai, et peut-être que ce n’est pas vrai, je ne sais pas, mais je n’avais pas l’impression de m’imiter, j’avais l’impression d’approfondir quelque chose, de revenir en quelque sorte sur les lieux du crime, non pour revivre les émotions causées par le crime, comme on dit dans les mauvais films policiers que le font les criminels, mais pour commettre un autre crime. Mais ce n’est qu’une métaphore, et pas très bonne en plus. La lumière était parfaite, et je me sentais heureux, parmi les morts, ce matin, dans le cimetière. Pendant un certain temps, il a régné dans cet espace clos une sorte de calme que dérangeait à peine la voix de la vieille dame qui criait dans son téléphone. Et puis, un agent de service a dégainé son engin à chasser les feuilles d’automne, le bruit m’a abasourdi, et je suis parti. Tout était fini. Mais à quoi s’attendre, par les temps qui courent, sinon, précisément, à ceci, que tout soit fini ?