quinze octobre deux mille vingt-trois

J’ai des frissons, et je ne sais pas pourquoi. Pas la fièvre, pas même froid, non, le temps de cet automne naissant enfin se trouve être parfaitement à mon goût, et pourtant quelque chose tremble le long de ma colonne vertébrale, me secoue un peu trop, poils et cheveux dressés à la surface de mon corps. Est-ce la peur ? Mais la peur de quoi ? La peur du monde, la peur de tout le monde, la peur de tout, la peur de qui n’a peur de rien, la peur de qui a peur de tout. Et toujours un peu plus de néant dans les désirs qu’ont les vivants, plutôt que de, je ne sais pas moi, se taire, ne rien faire du tout, marcher, oublier, tout oublier, marcher. Les gens me font peur, mais puis-je dire que cela m’étonne ? Non, je ne le crois pas. En vérité, ce que je trouve le plus décevant dans cette existence, c’est l’absence de tout effet de surprise : même si l’histoire n’est pas finie, tout a déjà eu lieu, et nous sommes trop vieux, et il y a trop de causes à défendre, trop de moyens et trop de fins, et trop de fins décevantes pour nos barbares moyens. Nous avons tout vu, et ce n’est pas la plaque rouge qui vient de se former sur le dos de ma main gauche qui me dira le contraire. L’ai-je frottée à ma barbe, ma main ? Je ne m’en souviens pas, mais même si tel était le cas, cela ne prouverait rien. Que les gens ne m’étonnent pas, c’est une chose, mais que j’aie peur de savoir ce qu’ils pensent parce que, en réalité, sans me l’être avoué autrement qu’à demi-mots, je sais déjà ce qu’ils pensent, quoique cela ne soit pas encore explicite, donc, c’est la seule différence, cela, à son tour, de quoi est-ce la preuve ? Et j’entends bien, oui, j’entends tout, mais la solitude, alors, c’est la question que je me pose, la solitude est-elle cause ou effet ? On se demande toujours ce qui vient en premier, quelle est la cause et quel est l’effet, comme s’il y avait un ordre de priorité, alors que rien ne nous dit que tout ne se produit pas en même temps, que tout n’a pas lieu simultanément, et que c’est donc la seule finitude, la limitation de nos moyens cognitifs, qui nous fait croire à la succession des événements dans le temps, d’où nous induisons ensuite la causalité. Or, si nous savions tout, ne nous placerions-nous pas au-delà du temps, ne verrions-nous la concomitance universelle, et la faiblesse dérisoire de nos catégories, de nos priorités, de nos causalités, de toutes nos idées, ne nous serait-elle pas enfin révélée ? Qui saurait tout, verrait tout, n’aurait même plus besoin d’agir, la concomitance universelle abolissant par la même occasion et l’espace et le temps. Nous trouvant au-delà du temps, nous nous trouverions au-delà de l’espace, et à quoi bon agir dès lors, se mouvoir alors, vouloir encore ? À quoi bon un but ? N’épouserions-nous pas le vide ? Et plutôt que de vouloir le néant, ne saurions-nous pas enfin ne plus rien vouloir du tout ? Je regarde les petits points rouges qui se sont formés à la surface de ma peau. Là, au dos de ma main gauche. Tectonique de mes plaques un peu trop terrestres, peut-être, tout tremble en moi.