Pointe Saint Mathieu, dans le Mémorial, j’ai été pris d’un grand frisson. Peut-être était-ce le temps, ce vent, et cette pluie qui allait bientôt nous tremper jusqu’à l’os, ou bien alors ces centaines de photographies de marins morts, certains en uniforme, d’autres en habits de mariage, posant seuls ou avec leurs épouses, tous inconscients de la mort qui les attendait alors qu’ils prenaient la pose avec leurs visages de dimanche, tous insouciants de la mort, et toutes les photographies de tous ces morts, et l’infinité de la mort, peut-être m’a glacé, ou bien encore, peut-être, l’harmonie élégiaque du temps et du lieu, des éléments et des événements, qui trouvait une expression singulière en ce lieu. Une photographie en particulier a attiré mon attention : un homme souriant sous sa fine moustache, les cheveux parfaitement arrangés qui posait, élégant dans son bel uniforme blanc immaculé, à côté d’un guéridon, officier de marine, c’est une belle carrière. Je l’ai trouvé si beau dans l’ovale de son image. À l’arrière-plan, l’intérieur bourgeois ne laissait aucun doute sur l’aisance de la famille, le confort dans lequel avait toujours été enveloppée son existence, et prouvait aussi, sans nulle discussion possible, que rien ne protège de la mort. Rien ne protège de la mort. Depuis que j’en ai vu la représentation dans le musée de l’ancienne abbaye de Daoulas, je pense souvent à cette figure du faucheur qui appartient à la culture bretonne, l’ankou, lequel est chargé de collecter les âmes. Armé d’une faux et d’une pelle ou d’une hache, la légende raconte qu’il traverse les Monts d’Arrée sur sa charrette psychopompe pour conduire les âmes dans l’au-delà. Et c’est vrai qu’il est fascinant, c’est vrai qu’il est inquiétant le désert de la lande et des tourbières, tout est relief et, pourtant, tout est plan, immanence sous le ciel, l’on se sent comme écrasé par cet espace qui s’ouvre de toutes parts et semble au propre nulle part. La mer et la lande sont le même désert ; et nous avons beau planter des hommes dedans, planter des immeubles là-dedans, rien ne pousse durablement. Tout s’éteint. À l’évocation de telles images, qui pourrait ne croire pas à ce destin : Tout s’éteint ? Ce destin, faible formule, comme s’il y avait un autre destin, un autre triomphe ; le destin. Et wig-a-wag fait le chariot funèbre de l’ankou.