trente octobre deux mille vingt-trois

Si fatigué. Toute la journée, je traîne ma dérisoire personne comme un insoutenable poids. Journée dont je passe la majeure part au lit, enroulé dans une couverture enseveli sous une couette. Le matin, j’ai relu les quinze premières pages des Émigrants de Sebald avant de m’endormir. Ensuite, avec tendresse, Nelly a joué à la garde-malade. Et puis, le reste du temps je me suis abruti devant diverses émissions de télévision. Les fictions, les réalités, les fictions de réalités, les mensonges, les reportages, les témoignages, les opinions, tout cela se mélange dans une sorte de bouillie qui semble dépourvue de toute raison, si ce n’est la violence, présente, partout. Peut-être est-ce elle, la violence, la seule raison de l’univers. Comme si ce que l’on appelle « le progrès » n’avait jamais été que ce que l’on aura fait des ruines de ce que l’on a détruit et qui se trouvait là, déjà, avant nous. Il est vrai qu’elles sont grandes ces tours qui poussent dans le ciel des villes, mais ne sont-ils pas plus profonds encore, les trous où l’on enterre les morts ? Demeurent les tours, apparemment, mais rien des invisibles bâtisses où disparaît la vie. D’où l’illusion. Qui n’en serait victime dans ces abominables conditions ? Partout, des gens s’en prennent à d’autres gens pour les tuer. Et le fait que rien ne les distingue réellement les uns des autres ne semble plus étonner personne : le mythe a repris possession de nos esprits. Rien n’a été déconstruit. Tout a été détruit pour raconter d’autres fables. Que rien n’a de sens, en revanche, n’a rien d’une illusion, c’est la réalité la plus crue devant laquelle, depuis toujours, on s’est efforcé de détourner le regard pour sauver l’idée de progrès ou telle autre eschatologie qui en tient lieu. Or, ce n’est pas qu’on pourrait parvenir à une meilleure version du progrès, qu’on pourrait aboutir à un monde plus heureux, si l’on s’y prenait autrement, cela, précisément, c’est l’illusion, non : tant que l’on continuera de vouloir sauver le sens, les mêmes horreurs se produiront. Il n’y a pas de sens définitif, pas de vérité ultime à laquelle nous pourrions parvenir un jour, pas de vérité ultime qu’un groupe détiendrait au détriment d’un autre, nous sommes tous peu ou prou les mêmes, aussi banals les uns que les autres, aussi misérables les uns que les autres, aussi faibles les uns que les autres, nos différences sont infimes, qu’une fois entées sur des intérêts particuliers on érige en essences pour qu’elles paraissent incommensurables, tout est bête quand on regarde au fond, aussi se contente-t-on de la surface, de la vie qu’on nous présente comme la seule possible. Mais je divague, sans doute, je suis si fatigué.