J’ai marché dans le calme. Et ce calme avait quelque chose d’irréel, out of this world, comme si ce que l’on avait fait du monde rendait impossible le calme, l’interdisait, nous contraignant à subir toujours plus de paroles, toujours plus de bruits, toujours plus de violences. J’ai marché dans le calme sans penser à rien que mes pas dans la terre meuble de l’automne, la boue parfois, tapis de feuilles mortes et autres fruits tombés des arbres, glands, marrons avec ou sans leurs cosses, tournant autour des champs, passant entre les maisons, longeant les routes, et même si je suis encore fatigué, moins qu’hier toutefois, je me suis senti en paix avec moi-même et, malgré les architectures discutables de certains bâtis, en paix avec ce qui m’entourait. Avant de rentrer à la maison que nous louons pour les vacances, je me suis arrêté dans une petite chapelle, rue de l’Église, je n’invente rien, la chapelle Sainte-Anne qu’avant ce séjour je n’avais jamais trouvée ouverte, et le calme y était parfait, avec ces cierges qui se consumaient, cette odeur d’humidité qui imprégnait l’air, ces deux engoulants aux extrémités de la poutre la plus proche du chœur. J’aurais pu me demander : « Comment se fait-il que nous haïssions à ce point le silence, le calme, la possibilité que nous offre l’existence de nous recueillir, comme on recueille un être plus faible que soi, d’autant plus nécessaire que cet être plus faible que soi, c’est soi-même, comment se fait-il que nous soyons fascinés, obsédés par la violence ? » parce que ce sont effectivement des questions de ce genre que je me pose en ce moment, mais je ne l’ai pas fait, cette question, à vrai dire, ne m’est même pas venue à l’esprit, il n’y avait pas de place pour les questions, parce qu’il n’y avait pas de place pour les réponses, et peut-être même pas pour le langage, à cet endroit-là, à ce moment-là. Le simple fait de se trouver seul quelque part et de pouvoir jouir de cette solitude semble extraordinaire. Comme si nous avions appris à inscrire la notion d’excès partout et à chaque instant de notre vie : surpopulation, suralimentation, surabondance, sursexualisation, tous phénomènes qui sont des facteurs de violence et de haine parce qu’ils se développent sur leur contraire, la mort, la faim, la pauvreté, l’absence d’amour. Aussi, la solitude se signale-t-elle par sa bizarrerie, quand elle devrait être tenue pour rien moins que nécessaire, naturelle. Parce que, dans un monde où, encouragé par une certaine sociologie de manifestation, l’individu ne supporte pas de ne pas trouver partout le reflet de ce qu’il s’imagine être sa personnalité unique, y compris là où il ne se trouve même pas, elle nous renvoie à l’absence : le trou, le manque, le défaut, la défaillance, la tombe. Je me suis encore étonné que les jardins des maisons soient ouverts dans ces recoins de France. Et je n’ai pas su ce qui était le plus étonnant : qu’ils le soient ou que, habitué que je suis à ce que tout soit clos, clôturé, verrouillé, fermé, enfermé, caché derrière des portes, des grilles, des murs, de lourdes portes de leur code blindées, je trouve à m’en étonner. Il n’était pas loin, le malaise, le vertige, sans plus nul mur à quoi me tenir. C’eut été beau, peut-être, pour un autre regard, mais moi, si j’avais une maison, je la voudrais la plus éloignée de la route, la plus éloignée des gens. À l’abri.