La description d’une annonce de location pour des séjours érotico-touristiques dans la bonne ville d’Illiers-Combray méduse un instant. Et puis, le lecteur reprend ses esprits : le sens s’étant dissous dans le commerce, tous les prétextes sont bons pour produire de la valeur. Associer les souvenirs du jeune Marcel versant de chaudes larmes sur ses chères aubépines et ses premiers émois avec la réclame d’une expérience sexuellement satisfaisante ne saurait heurter personne en dehors de qui, mi-réactionnaire mi-arriéré, tient encore à attacher ses sentiments à l’idée d’une culture qui échapperait à sa consommation totale pour le bon plaisir de quelques touristes incultes en quête de frissons faciles. On les voit, partout ce sont les mêmes, qui errent à la nuit tombée dans les rues de Paris, en quête d’un hamburger frites ou, pour les plus gourmets d’entre eux, d’un bol soupe à l’oignon accompagné d’un verre de gros rouge qui fleure bon les sulfites, aveugles aux différences possibles entre le palais du Louvre et une assiette de charcuterie. « Dans la ville de Marcel Proust, la LOVE ROOM “l’étreinte dorée” est un cocon dédié au plaisir. Avec son fauteuil Tantra, sa balançoire érotique, sa table de massage et ses jeux coquins, elle incite à explorer la sensualité. Plongez dans une baignoire double, dansez autour de la barre de pôle dance, filmez-vous avec retransmission sur le rétroprojecteur. Ce séjour promet une expérience unique d’évasion et d’intimité, où chaque moment sera inoubliable. » Qui, gardant le souvenir du petit cabinet où le jeune Marcel s’enferme dans la maison de tante Léonie pour s’adonner aux plaisirs solitaires dans un éveil émouvant à la sexualité, s’étonne devant le texte de l’annonce parce qu’il a oublié qu’on n’a pas fermé les maisons closes, on les a simplement vidées, et chacun s’y rend désormais chargé de sa propre marchandise. Avec le triomphe de cette érotique kitsch (menottes à fourrure rose, jouets pour adultes fluo, lingerie bon marché), et la philosophie anti-tabous qui la soutient de ses bavardages, tout le monde est devenu prostituée. « Bienvenue dans la Love room “l’étreinte dorée”, un havre de sensualité et de passion situé au cœur de la pittoresque ville d’Illiers-Combray (A 1h de Paris, porte d’Italie, par l’autoroute), rendu célèbre par le grand écrivain Marcel Proust. Cet espace sexy et envoûtant a été conçu pour offrir une expérience unique et inoubliable à tous les partenaires qui franchissent ses portes. Dès votre arrivée, vous serez séduits par l’atmosphère intime et chaleureuse. Chaque détail a été soigneusement pensé pour stimuler vos sens et susciter une exploration sensuelle. Que vous recherchiez une soirée de détente absolue ou une nuit passionnée, notre établissement est parfaitement équipé pour combler tous vos désirs. Osez expérimenter de nouvelles sensations en explorant les nombreuses positions du Kamasutra sur notre fauteuil Tantra et notre balançoire spécialement conçu. Pour les amateurs de jeux érotiques, notre mur équipé vous invite à vous laisser aller à des plaisirs ludiques et excitants. Si vous préférez des instants de tendresse, notre table de massage est à votre disposition pour vous offrir des instants de détente et de complicité. » Et qui se refuse, grammaire comprise, à s’adonner à ses plaisirs garantis sur facture se sent exilé dans son imaginaire : un peu de calme et assez de temps pour lire un livre sans être distrait par dieu sait quelle alerte, voilà le véritable fantasme transgressif de notre temps. S’il est empreint de nostalgie, c’est par erreur : ce que nous appelons d’autant plus fort de nos vœux qu’il échappe à notre désir n’a jamais existé. Jamais dans notre histoire, cédant sous les assauts d’une culture en toc, avons-nous été à ce point dépossédés de notre expérience. Jamais, forcés de passer par tant de médiations impératives, avons-nous eu si peu accès à nous-mêmes. Et la distance croît, sans halte ni repos, on en voit les signes partout autour de nous. Il faut en prendre conscience et, armé de cette conscience, ne pas renoncer, au prétexte fallacieux que tout le monde a déjà capitulé, à ce que nous avons de plus cher, — la douceur, l’amour, quelques livres, un peu de musique.