vingt-neuf novembre deux mille vingt-trois

Que fait-elle, la dernière feuille dans l’arbre ? Et combien de temps peut-elle encore demeurer là ? Attend-elle la fin de l’automne, la fin des temps ? Pour survivre, ce n’est pas de la force qu’il te faut, mais de l’indifférence, ou bien : la force de l’inertie, et laisser sur toi passer le temps sans réagir, sans en donner l’impression, dans une forme d’impassibilité qui, peut-être, n’en pense pas moins, mais s’efforce de ne pas le montrer. Résister, ce n’est pas réagir, ce n’est pas s’opposer, se battre, tout d’abord (après, pourquoi pas, tout est possible, non ?), non, c’est endurer sans subir d’altération, sans trop de détériorations ; — telle est la condition sans quoi, rien : subir sans périr, savoir souffrir. À qui apprend à vivre, tout est épreuve, violence, sinon, c’est que nous n’avons pas de chair. Et, alors que tout le monde veut être quelqu’un, veut avoir quelque chose à dire, tais-toi, ne sois personne. Sois opaque. Chaque fois que tu voudras exister, détrompe-toi, détourne-toi de la croyance que c’est mieux que ne pas. N’espère rien, mais ne sois pas désespéré ; — peux-tu comprendre cela ? Je joue avec la fine pellicule de poussière qui recouvre ma table d’écriture et songe à ces hommes que j’ai vus, tout à l’heure, ils étaient couchés par terre, sans autre forme de lit qu’un sac de couchage pour les mieux lotis et, en guise de nourriture, des boîtes en carton rondes remplies de pâtes en sauce, sèches et froides, posées sur la pierre au bas de la grille du jardin. Que ce soit encore la vie, que nous pussions encore donner à cette sorte de subsistance minimale le nom de l’existence, comment se fait-il que nous ne trouvions pas en cela le motif d’un étonnement ? Et l’extrême amplitude entre le dénuement et la richesse, la distorsion qu’elle rend manifeste, n’est que le signe le plus évident de la fragmentation du monde, lequel n’est pas un, lequel n’en est pas un, donc, et ne l’a peut-être jamais été, ne saurait en tout cas l’être sous de telles conditions. Poussière non biblique, sans nulle métaphore, j’entends : la matière qui se souvient du temps qui passe, — poudre d’être, poudre aux yeux. Contrairement à hier, j’écris non sans une certaine difficulté, je cherche les mots (dictionnaire). Mais « difficulté », est-ce le mot qui convient ?