deux décembre deux mille vingt-trois

Aucune émotion au musée où nous emmenons Daphné pour qu’elle voie la barque à Giverny de Monet, qu’elle a étudiée en classe. Même le portrait de Proust que je voulais revoir n’est pas exposé en ce moment. Il y a pléthore d’œuvres et pourtant il n’y a rien. Et, par suite, je fais l’expérience de ce rien, comme désemparé par l’absence de l’expérience, et je ne fais l’expérience de rien, si ce n’est de la déception. Mais fait-on des expériences pour qu’elles soient décevantes ? Non, autant ne rien faire du tout. Le musée est une immensité glaciale où l’idée de la culture se vend par tranches horaires à des touristes dont la principale préoccupation semble être de se prendre en photographie devant les toiles cependant qu’ils font des V avec l’index et le majeur. Je regarde ces gens venus du monde entier et, à un certain moment, je me dis : « Ce sont eux le futur », sans mépris, sans condescendance, simplement comme on énonce quelque fait, comme on dit le temps qu’il fait. Il fait froid. Mais, contrairement au musée, l’atmosphère n’est pas glaciale, non, il y a une grande chaleur, une proximité des choses qui donnent l’impression d’être là, à portée de la main. Vers dix heures et demi, le matin, je sors marcher dans les rues de Paris. Depuis le jardin des Grands explorateurs, de la fontaine des Quatre parties du monde, on voit le fond de l’espace jusqu’au Sacré Cœur, et plus loin encore, m’apparaît-il, mais cette tour que je crois distinguer, je ne sais où elle est, et peut-être que je l’imagine, peut-être que je rêve. Le froid claque sur mon visage. Alors, je marche vite. Et le défilé de la ville au rythme de mes pas en révèle la perfection, la perfection de toutes choses, laquelle n’est pas liée, contrairement à ce que l’on croit un peu trop facilement, comme quand on se plaint qu’une grande ville comme Paris est sale, bruyante, saccagée, ou je ne sais quoi, à l’état des choses qui s’y trouvent, mais à l’harmonie ou la dysharmonie entre les choses et qui fait l’expérience de ces choses. Dans le musée, ainsi, où j’ai payé pour être, et où tout est supposé être beau — c’est de l’art —, l’harmonie est nulle, la dysharmonie totale, mais dans la ville, malgré tout ce que l’on peut reprocher à la ville (la saleté, le bruit, les gens, les touristes, tout), l’harmonie est parfaite, et la dysharmonie néante.