Faisant mon pèlerinage dans les collines des environs de Cotignac, j’ai croisé un âne. Et puis, un autre. Le premier, d’un naturel doux et calme, m’a-t-il semblé, me voyant, n’a pas paru s’étonner de ma présence. Je lui ai dit : « Tu es beau, toi » (je me suis reproché ensuite ce tutoiement un peu cavalier), et il a pris tranquillement la pose pendant que je le photographiais, après quoi, constatant que j’avais fini, il s’est remis à manger. Le second, en revanche, et sans doute était-ce pour cette raison qu’il était attaché à un piquet par une corde, était d’un naturel beaucoup moins placide et, me voyant, il s’est mis à braire pendant des secondes qui m’ont paru d’autant plus longues que son braiment était assourdissant. Je me suis demandé : Est-ce moi qui suis la cause de tout ce vacarme ? Et puis, plutôt que d’attendre une réponse à ma question qui ne viendrait probablement pas, je me suis remis en chemin, ramassant du bois pour la cheminée, jouissant du temps sublime qu’il faisait, du ciel qui, brumeux ce matin, était devenu d’un bleu lumineux. Comme avant-hier, je suis passé devant cette cabane en bois qui m’a de nouveau semblé parfaite, et alors s’est imposée à moi l’idée que c’est dans un endroit comme celui-là, dans un habitacle comme celui-ci qu’il faudrait que j’élise non domicile mais que j’établisse ma table d’écriture. À temps partiel seulement, peut-être — il ne faut pas quitter Paris définitivement —, mais ce serait déjà un bon temps de prix et, du point de vue du lieu, une sorte de καιρός. L’hiver, la Provence, un poêle à bois, Val d’Aime ; il y avait une telle lumière, si pure sublime, qu’on ne pouvait rêver que de cela, cet équilibre précaire que, un peu plus tard, un motard faisant exploser son moteur dans les environs de Notre Dame des Grâces, viendrait rompre sans vergogne. Le problème, ce n’est pas les choses, c’est l’usage que l’on en fait. Et ainsi, entre les deux pôles de mon existence, pour dire les choses quelque peu schématiquement, Paris et la Méditerranée, la contradiction n’est pas à résoudre, mais à embrasser et à vivre.