Dans le rêve que j’ai fait cette nuit, je croisais É. D., responsable de la communication des Éditions G., laquelle était en train de donner des explications que je savais être fausses (je savais qu’elle mentait, même si je ne sais pas comment je le savais) à quelqu’un qui lui demandait des comptes à propos d’un opéra qui connaissait des difficultés. L’opéra était tiré d’un livre à succès (écrit par une certaine Saporta), ce qui expliquait pourquoi É. D. devait s’expliquer. En fait, comme le rêve allait me l’apprendre par la suite, il s’agissait du premier rôle masculin, le ténor, qui avait quitté la production. Je comprenais que d’autres chanteurs en avaient fait de même. Ensuite, j’assistais à un extrait de la représentation de l’opéra, mais ce n’était pas exactement une représentation de l’opéra, c’était plutôt une version filmée dans un style d’assez mauvais goût (pénombre et lumières blanches) pour la télévision. J’assistais à la représentation comme si je me trouvais à la place de la caméra. Dans la scène à laquelle j’assistais, les personnages, un homme (le ténor démissionnaire) et deux femmes descendaient au parking d’un immeuble très moderne lors d’un passage qui me semblait être une sorte de récitatif. Mais il y avait aussi des parties très brèves chantées. À quoi ressemblait l’opéra ? Je serais bien incapable de le dire. Dans la scène suivante de mon rêve, pas de l’opéra filmé, on me proposait de remplacer l’un des chanteurs démissionnaires. Même si ce n’était pas formulé littéralement, je comprenais qu’il s’agissait du rôle principal tenu par le ténor démissionnaire. Je recevais un coup de téléphone de quelqu’un qui allait lui aussi remplacer un chanteur manquant et qui m’expliquait ce que j’aurais à faire. Quand je lui fis part de mes doutes, il m’arrive bien de chanter avec mon groupe, lui dis-je, mais enfin, ce n’est pas réellement chanté, il m’expliqua que lui aussi il était chanteur dans un groupe de rock, et puis que le rôle n’étant pas franchement exigeant, il ne poserait pas de problèmes. Il avait un fort accent du sud-ouest. Après ce coup de téléphone, je me rendais à l’opéra pour interpréter le rôle, m’étonnant quand même de toute cette précipitation (de grandes parties du rêve semblaient se dérouler dans les couleurs de clair-obscur de la scène de l’opéra vue comme si j’étais la caméra), il faudrait bien que je l’apprenne, mais j’avais l’impression que j’aurais le temps de le faire, ou que tout le monde le pensait. Parfois, je me voyais en costume de scène, mais je ne sais pas si ce sont des bribes de rêve ou des sortes de flashs qui anticipent sur son déroulement à venir (dont je ne me souviens plus). Dans une sorte de librairie, je passais une étrange espèce d’entretien d’embauche dans lequel il était question de tout sauf de savoir si je savais chanter. À une question, je répondais « Pasolini », et cela semblait faire une forte impression sur mon interlocutrice, qui était une des responsables de la production (la responsable ?). À la suite de ma réponse, elle me donnait un livre sur Antonello Rossellini, que je semblais parfaitement connaître, et j’expliquais que c’était l’un de mes réalisateurs préférés avec Pasolini (encore lui) et Antonioni (j’hésitais à dire Fellini, mais cela ne me paraissait pas faire « assez sérieux », j’en avais conscience dans le rêve). Je feuilletais le livre dans lequel, et je ne sais pas si c’était étonnant ou non dans le rêve, se trouvaient uniquement des photogrammes issus du Parrain ou de Il était une fois en Amérique, je ne suis pas tout à fait sûr, mais en tout cas de Robert De Niro. J’avais de nouveau des doutes sur ma capacité à apprendre le rôle, mais il semblait que j’étais le seul à en avoir. Dans le rêve, chose remarquable, je savais que, dans des conditions semblables, j’avais déjà remplacé un chanteur défaillant dans un opéra. Et, chose encore plus remarquable, il me semble, j’avais l’impression que j’avais déjà remplacé un chanteur d’opéra dans un autre rêve, que ce remplacement avait fait l’objet d’un autre rêve comme celui que j’étais en train de faire, j’entends : pas identique, mais un même genre de rêve. Est-ce que cela signifie que j’avais conscience que tout cela n’était qu’un rêve ? Non, je ne pense pas que ce soit cela, je crois plutôt que le rêve que j’ai fait était lui-même relié à un autre rêve que j’ai déjà fait ou que, dans mon rêve, je me souvenais d’avoir fait un rêve dans lequel je devais remplacer un chanteur d’opéra. Est-ce que, dans le rêve de cette nuit, je me souvenais d’avoir rêvé dans le monde du rêve ? Est-ce que c’est le moi du rêve qui se souvenait d’avoir rêvé ? Ou bien est-ce le moi diurne qui était censé avoir fait ce rêve ? Moi-même, si j’ai l’impression d’avoir déjà fait un rêve dans lequel je devais remplacer un chanteur d’opéra, avant cette nuit, je ne sais pas si je dois cette impression à ma mémoire diurne ou si je la dois au vécu du rêve, à cette impression que j’avais dans le rêve de cette nuit d’avoir déjà fait un rêve dans lequel je devais remplacer un chanteur d’opéra. Et puis, cette question, au réveil : comment peut-on rêver tout cela ? Ce compte-rendu, je l’écris au lit. Je n’ai pas vraiment envie de me lever. À travers la lucarne sans volet de la chambre à coucher où nous dormons, je vois le soleil jaune pâle sur un mur de pierre, je pense que j’irai me promener un peu plus tard dans la journée (après le déjeuner). Je suis un peu triste aussi parce que je sais que, une fois que j’aurais fini le récit de mon rêve et le commentaire distant que j’en fais à présent, je quitterai ce monde onirique et ses suites éveillées. « Triste », le mot est peut-être un peu fort. C’est celui qui m’est venu, je le conserve donc en l’état. Mais « nostalgique » conviendrait sans doute mieux, comme dans l’expression : la nostalgie du rêve.