Dernier pèlerinage dans les collines. J’ai beau faire semblant, parvenir à faire semblant, de temps en temps, m’émerveiller, je sais que tout est faux. Alors, le vrai, où le trouver ? Le puis-je seulement ? J’entends : Se trouve-t-il encore quelque part sur terre ? S’est-il jamais trouvé quelque part sur terre ? Après tout, si nos ancêtres et leurs ancêtres et les ancêtres de leurs ancêtres ont inventé des dieux extraterrestres, n’était-ce pas qu’ils avaient conscience que tout était faux eux aussi ? Oui, mais peut-être pas au même sens que celui auquel, moi, j’entends que tout est faux. « Tout est faux », quand c’est moi qui l’écris, cela ne veut pas dire : « Tout n’est qu’apparences fugaces et trompeuses en ce bas monde. Il doit y avoir une réalité permanente et véritable, au-delà », mais plutôt : « Tout a été vendu, il n’y a rien d’authentique, et peut-être, même, n’y a-t-il jamais rien eu d’authentique ». Se dire alors que le vrai n’existe pas, se convaincre qu’il n’y a que des phrases qui se perdent définitivement dans le vide parce qu’il n’y a que des expériences éclatées, sans lien aucun les unes avec les autres, sans lien avec rien ? Mais en quoi cette dernière affirmation (ou négation) serait-elle plus satisfaisante que l’autre ? Parce qu’elle donne de soi l’image de quelqu’un à qui on ne la fait pas, l’image du connaisseur qui, revenu de tout, ne tombe plus dans aucun piège (prend-il du plaisir à quelque chose, ce dernier ? rien n’est moins sûr) ? Le nihilisme, conduit à sa dernière logique, s’autodétruit, sinon c’est qu’il fait semblant, lui aussi, semblant de ne pas croire, semblant de ne pas aimer, semblant de ne pas être alors qu’il ne peut qu’être et constater sa défaite. C’est peut-être cela qui m’habite : le sentiment de la défaite. Et, dans le même mouvement, ou dans le revers de ce mouvement, à moins que le sentiment de la défaite soit le revers du mouvement dont je parle, autre chose. Tout à l’heure, Nelly ayant conduit Daphné voir sa tante et ses grands-parents à Toulon, rentrant dans la maison vide, je me suis demandé ce que cela faisait d’être mis au ban (peu importe de quoi : de la famille, de la tribu, de la communauté, de la société), et voici ce que je me suis répondu : c’est à la fois une injustice et une joie. Pourquoi une joie ? Parce que, fût-ce une douleur, c’est surtout l’occasion de célébrer sa différence. Parce que la différence n’est jamais une défaite, mais une grande victoire.