Pour l’idée qui m’est venue hier (tombes), je passe un temps que je juge bien trop long à chercher une image dans mes archives. Mais, finissant par la trouver, je me ravise quant à la durée déplorée, et conviens avec moi-même que, tout de même, ma tête est bien faite qui, à des années de distance, dispose les choses à l’intention du moi futur que je serai devenu entretemps. Ai-je de la suite dans les idées ? À cette question rhétorique, je pourrais répondre que oui, ou bien que je ne suis pas venu à bout d’une certaine obsession qui est la mienne, laquelle a trait à la mort, aux tombes et aux cimetières dans lesquels ces dernières se trouvent. Hier, pour approfondir l’idée que je venais d’avoir dans une sorte d’inconscience spontanée, j’ai écrit un texte assez long qui, s’il ne permet pas de dissiper l’obsession en question, trace des lignes directives pour l’exploration de celle-ci. D’ailleurs, et cette fois ce n’est pas une question rhétorique, faut-il la dissiper, cette obsession ? Je n’en suis pas certain, mais plutôt, comme je viens de le dire, l’explorer, l’approfondir (j’allais écrire : « la profondir », et ce n’était peut-être pas la faute de français que cela semble être, de profundis), parce qu’elle tient à des choses qui sont graves, profondes, repetita, essentielles pour moi. Façon de dire, quelque banale que puisse me paraître cette assertion (l’est-elle vraiment ?) au moment où je m’apprête à l’écrire, façon de dire, donc, que toute conception de la mort est solidaire d’une conception de la vie ou, en tout cas, puisque c’est de ceci qu’il s’agit, que ma conception de la mort est solidaire d’une conception de la vie, et réciproquement. Ce n’est pas pour rien que notre époque traite la mort comme elle le fait, elle pour qui les cimetières ne diffèrent pas des autres sites touristiques qu’on peut visiter en vacances. Avortement, euthanasie, incinération, humus humain — et il ne s’agit pas d’être pour ou contre, il ne s’agit pas d’avoir une opinion sur telle ou telle question, toute prête pour les sondages, il s’agit de tâcher de penser les choses telles qu’elles sont — forment un continuum qui caractérise en propre l’idée que l’on se fait de la vie. Idée rentable, en somme, il faut que ça passe. Plus nulle passion, l’être, terrorisé par lui-même, gère son existence comme une vulgaire ressource humaine. Mais le managérial, en son parfait américanisme même, n’est-ce pas la négation de la vie ? Question à laquelle, cela semble difficilement discutable, notre chère vieille Europe n’a rien à répondre, elle qui se satisfait désormais de mimer des gestes qui ne sont pas les siens. Élégiaque, donc, mais pas désespéré, pas épuisé, tout au contraire, plein de vitalité. « Vous savez où est Jane Birkin ? », m’a demandé le monsieur, dimanche dernier, au cimetière du Montparnasse. Et dire que j’ai essayé de l’aider à la trouver. Quelle déréliction.