treize janvier deux mille vingt-quatre

Ce midi, après avoir préparé le déjeuner (*) et mis la table, j’ai écrit une tribune en réponse aux énormités que raconte la ministre de l’Éducation nationale à propos de l’école Littré. 3300 signes environ, taille parfaite pour une publication bien sentie dans tel ou tel organe de presse. Et puis, je l’ai supprimée. Parce que, même si je me sens humilié par les propos débilitants de cet individu, je crois que les gens comme elle ne valent pas la peine que, pour les contredire, on peut avoir envie de se donner dans un moment de désœuvrement. Il faut les mépriser parce qu’ils sont méprisables. Ils sont absolument dépourvus d’idées. Et ne font que pérorer  en vain sur la scène que, avec une complaisance déplorable, les médias mettent à leur disposition. Mais, comme leurs têtes, leurs paroles sont vides. Il n’y a rien dedans. Je crois aux pouvoirs de l’effacement. Non pour faire disparaître les choses passées — elles restent, quoique nous pensions être capable de faire au contraire ; il n’y a d’oubli qu’involontaire —, mais pour réinventer le monde. Je peux rester coincé sur ce qui me déplaît, donner libre cours à tel de mes penchants à la détestation, mais je peux aussi m’en défaire, m’en libérer, imaginer autre chose, faire autre chose, concevoir autre chose, aller voir ailleurs, aller voir l’ailleurs. La place démesurée que les médias accordent à la vie politicienne de ce pays est sans commune mesure avec la place réelle qu’elle occupe dans la vie des gens, laquelle  en vérité — il ne faut pas avoir peur de le dire — est quasi nulle. Mais, et c’est une sorte de loi sociale, moins le pouvoir a de réalité et plus il se donne des apparences dures, imposantes : il singe la force parce qu’il n’en a pas. Loin de renverser le pouvoir pour s’en emparer, la prochaine révolution devrait s’en déprendre, l’abandonner, le rejeter comme une croyance poussiéreuse, un mythe auquel nous, qui avons accès aux voies de la raison, ne croyons plus, auquel nous, contrairement à nos ancêtres, n’avons jamais cru. Le moment qui est le nôtre dans l’histoire de l’Occident, ce moment où l’Occident paraît faible, au bord de la chute au terme de son déclin, ne doit cependant pas être conçu comme un moment d’affaissement — encore que, à de nombreux points de vue, il en ait toutes les apparences —, mais doit être pensé en tant que crise, c’est-à-dire : point de retournement, de basculement, possibilité, chance, passage au nouveau. Quand même nous ne saurions pas encore quoi, quelque chose est en train d’avoir lieu qui, loin d’être la continuation de ce que nous avons vécu jusqu’à présent, est un passage vers l’autre, un passage vers l’ailleurs. Comme le καιρός, cette chance, il faut l’attraper par les cheveux. Et ne pas la lâcher. Après, qui sait s’il ne sera pas trop tard ?

(*) Sandwich et carottes bouillies pour Daphné, sandwich et salade endives, noix, pommes, roquefort, huile d’olive, poivre et sel pour Nelly et moi.