Au cours de ma première véritable nuit de sommeil après une semaine d’une harassante maladie, je m’éveillai dans un raidissement brusque, et déclarai : « Je m’appelle Is’phahan et je suis venue dire à l’âme qui vécut, qui vit, qui vivra, qu’il y a deux voies : la première est brève et simple, la seconde, longue et contournée. Tout le malheur vient que c’est la seconde que l’on emprunte. » Déclaration qu’accompagnait dans ma quinte rauque le diagramme unique et précisément tracé de la distinction entre les deux voies. Au réveil, j’entrepris de copier l’image du diagramme entraperçue en rêve et ne parvins qu’à dessiner un schéma passablement grossier (que je donne toutefois ici en annexe par goût de la documentation et au nom d’une forme d’honnêteté intellectuelle en l’occurrence peut-être mal placée). Mon schéma est sans commune mesure avec la minutie et l’intrication des embranchements de la voie longue que faisait voir le dessin onirique, sans commune mesure non plus avec la simplicité contrastante de la voie brève. Dans l’image du rêve, ce contraste n’avait rien de caricatural ; de la plus grande des clartés, il semblait exposer au contraire les embranchements dessinés avec une immense minutie, une minutie quasi microscopique, — métaphysique. Dans l’image du rêve, la feuille vierge n’était pas grande mais, quand même je n’eus pas le loisir de le faire dans mon rêve, on semblait pouvoir zoomer à l’intérieur de la page pour s’enfoncer dans les détails des détours de la voie longue, laquelle s’étendrait donc moins à la surface de la feuille qu’elle ne descendrait en profondeur à l’intérieur de la feuille, creusant l’épaisseur, étique pourtant, du vélin. Quelque chose de calligraphié, de chinois. Après avoir prononcé les paroles de la dénommée Is’phahan (le premier « h » était muet, on prononça : « Ispahane »), je me trouvais fasciné par un certain nombre d’éléments caractéristiques du rêve : la déclaration inspirée digne d’un oracle, bien entendu, tout comme la possibilité que toute une métaphysique soit concentrée dans le dessin simple nonobstant d’innombrables embranchements labyrinthiques s’étendant moins en surface que creusant la profondeur d’une feuille de papier, la prophétie, aussi banale qu’énigmatique, belle, par conséquent, et le nom même de la prophétesse, lequel semblait avoir voyagé à la vitesse du rêve depuis son lointain et imaginaire Orient. Comment nous sommes des vecteurs, comment des significations que nous ne comprenons pas voyagent en empruntant les passages que nous sommes pour trouver à s’exprimer, c’est peut-être ce que notre obsession nombriliste et la très moderne culpabilité dont elle se grime nous interdit de percevoir. Notre éveil aveugle, le sommeil n’est-il pas le seul visionnaire ? Je laisse cette question de côté. Encore que je ne puisse pas m’empêcher de la poser, elle me semble inepte. Diverses chaînes onomastiques m’eussent aisément permis, je crois, de remonter de moi jusqu’à cette Is’phahan, mais pour m’apprendre quoi ? Que tout est possible, même le plus pur des hasards, même ce que l’on ne comprend pas, même ce qui ne s’explique pas ? Quelle découverte, en effet. Est-ce qu’aux peuples les plus étrangers à la métaphysique, les inspirations ne parviennent qu’en rêve, enveloppées dans une sorte d’épaisse brume fantastique ? Car, autrement, de telles inspirations seraient immédiatement disqualifiées, immédiatement diagnostiquées ? À qui ? Comment ? Et pourquoi ? Peut-être est-ce parce qu’il n’y a pas de réponse satisfaisante à ces questions, pas de réponse valable à ces questions, qu’il faut s’appliquer à donner au récit la forme la plus impersonnelle possible (et, dans cet ordre idée, j’y reviens, avec une trop grande insistance, peut-être, pour demander qu’on excuse sa médiocrité, le schéma dessiné à main levé reproduit en annexe n’est pas sans jouer un rôle important), dire les choses comme elles ont lieu, ne rien omettre des diverses connotations qu’elles évoquent en passant, dussent-elles sembler sans objet (rien n’est faux, rien n’est vrai, rien n’est en ou hors sujet, nous nous trouvons bien avant tout cela, dans la forme la plus plus primitive de la signification, l’éclat inspiré de la voix au milieu du noir profond de la nuit d’hiver). Dans la métropole noire de l’hiver, nous avons oublié notre nom. Et celui que nous portons en rêve, pourtant, n’est pas un nom d’emprunt. Sublime paradoxe. « Qui suis-je ? » À elle seule, cette question semble décourager les générations lasses. Qu’est-ce, en effet, que quelqu’un ? Qu’est-ce que l’être ? Et puis, Is’phahan parle. Et tout s’éclaire. Et la nuit est un éclair. Avant qu’enfin l’on se rendorme.
Annexe : Schéma de l’image du rêve tracé au réveil.

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