Je passe un certain temps à survoler du regard plutôt qu’à les lire vraiment les notes numériques dont j’ai réclamé le téléchargement à google, hier, et parfois je comprends et parfois je ne comprends pas ce que le moi qui écrivit cela voulait dire ou ne voulait pas. J’envisage d’en copier une (une citation) puis une autre encore (une réflexion) ici pour donner matière à un développement plus riche, plus important, mais y renonce finalement pour les mêmes raisons qui m’ont conduit, hier, à ne pas copier ce que j’avais écrit dans mon cahier. Mais alors, n’est-ce pas à l’abandon de ce journal que doit conduire en toute logique un tel refus ? C’est une issue possible, oui, en effet. Et l’autre ? Il y en a au moins une autre, n’est-ce pas ? Au moins une, oui, que voici : continuer comme je le fais, mais je me demande pourquoi : qu’est-ce que je vais chercher là ? Qu’est-ce que je trouverai à continuer ? Qu’est-ce que j’ai trouvé, jusqu’à présent, écrivant ce journal ? Des raisons de continuer à vivre, des raisons de continuer à écrire. Sinon chaque jour du moins souvent, confronté à ceci que ni l’écriture ni la vie ne vont de soi, la quotidienneté manifestant ce fait dans toute sa gravité : l’écriture n’étant pas conçue comme un métier (« Je vais publier un livre ») mais comme coextensive à la vie même, il faut ainsi inventer une façon de vivre qui permette de tenir encore un jour au milieu de l’absurdité du monde, de la vacuité de l’existence, de l’absolue absence de sens, et la vie ? eh bien, la vie ne peut-elle pas s’arrêter n’importe quand ? « Absolue absence de sens », ce que je viens d’écrire, les êtres humains l’ont évité si longtemps qu’elle s’est estompée au point de finir par devenir tout à fait invisible : c’est le nom qu’on donne, la religion qu’on transmet, la race qu’on fabrique, le peuple qu’on invente, le capital qu’on hérite, l’idéologie qu’on adopte, et bien d’autres modalités encore de mettre du sens là où il n’y en pas, ou plutôt de faire comme si un sens me précédait que je n’aurais plus qu’à adopter pour être le bon enfant, le bon croyant, le bon ceci, le bon cela, le bon tout, le bon n’importe quoi. Sauf que cette bonté ne fait jamais que déplacer le poids des choses (elle ne le mesure pas), la question n’étant plus : « Qu’est-ce que je fais ici ? », mais : « Que dois-je faire pour rester ici ? » Ce qu’on discrédite à bon compte en le nommant « romantisme » n’est pourtant autre que l’attitude de qui, refusant les béquilles qui le précèdent pour se tenir dans le monde, découvre l’épaisseur de la fausse conscience derrière laquelle on dissimule le monde, découvre que la vie sociale ne lui ménage aucun accès au monde si ce n’est médiatisé par cette même vie sociale, et ce cercle est constitutif de la nature même de la vie sociale ; il est parfaitement parfait, il est parfaitement faux. Comment s’inscrire dans une vie parfaitement fausse ? Ne faut-il pas passer outre les intérêts qu’on suppose, qu’on soupçonne, qu’on devine, et comprendre qu’on ne le peut pas, que toutes les raisons qui vont de soi sont fausses, qu’elle trompent, illusionnent ? Qui n’a pas la passion du néant n’a la passion de rien.