Vingt-sept février deux mille vingt-quatre.

Cette nuit j’ai rêvé que des frelons asiatiques envahissaient notre maison. Je venais de me disputer avec mon frère. Il était assis par terre dans la cuisine, adossé au réfrigérateur, manifestement ivre mort, et je lui disais, avec douceur et tendresse : « Ça va, mon frère ? », tout en lui touchant l’épaule de la main gauche. Le geste ni les paroles ne semblèrent lui plaire qui le mirent en colère à la désapprobation de mon beau-père, qui se trouvait là, lui aussi, dans l’appartement, et avec qui j’avais une brève conversation sur la question. Mon père, quant à lui, s’efforçait de trouver des excuses au comportement de mon frère — lesquelles ? je ne m’en souviens pas — sans y parvenir vraiment, je crois. Pendant tout ce temps, ou en tout cas les deux récits se superposaient parfaitement comme deux séries temporelles qui fusionnent pour n’en former plus qu’une, pendant tout ce temps, dis-je, j’étais occupé à massacrer des frelons asiatiques de toutes tailles (de tout petits jusqu’à vraiment très gros, ils étaient noirs et jaunes, les plus petits avaient un aspect duveteux, comme de minuscules bourdons, tout ronds, ou alors minces, tandis que les gros étaient menaçants, j’avais peur qu’ils me piquent, et portaient, pour certains du moins, je crois, une croix chrétienne jaune sur le dos), frelons qui, je ne sais comment, avaient élu domicile dans les rayonnages de la bibliothèque et, je ne sais comment non plus, avaient été suffisamment dérangés par quelque chose — je suppose : la colère de mon frère, hypothèse cohérente avec l’épisode de la nuit de Noël d’il y a quelques années et le contenu de mon rêve, mais je n’ai aucune certitude à ce sujet — pour se mettre à voler en tous sens dans la chambre où se trouvait la bibliothèque. Moi, muni d’objets divers destinés à les écraser, d’une bombe insecticide pour les gazer ou, quand cette dernière se trouva vide, en remplacement, d’une bombe à pulvériser du produit pour décaper les fours, je m’efforçais de les tuer les uns après les autres, tâchant de faire en sorte qu’ils ne quittent pas la chambre, mais il y en avait toujours plus, c’était sans fin, quand j’avais tué un gros frelon asiatique, c’est un, deux, trois, quatre plus petits qui affluaient et, si je n’étais pas littéralement débordé par cet afflux de frelons, il était évident que je ne chômais pas et que, si cela continuait ainsi, j’allais bientôt devoir rendre les armes et m’avouer vaincu, piqué à mort sans doute par des bestioles qui ne connaissent pas la pitié ni aucun de nos sentiments moraux. Mais cette éventualité, je n’en faisais aucun cas, j’étais bien trop occupé à combattre pour y songer. Je dis à Nelly de faire attention à Daphné, et le plus étrange, c’était que personne, c’est-à-dire : ni mon père ni mon beau-père, personne ne semblait concerné par cette invasion de frelons asiatiques, comme si le seul sujet digne d’intérêt, le seul motif d’inquiétude ou de souci, c’était le fait que mon frère avait quitté l’appartement en colère. La menace était là, réelle, bourdonnante, et tout le monde s’en désintéressait. Moi-même, cette dissymétrie entre l’ampleur de l’invasion et l’absence relative d’importance de l’histoire de mon frère ne paraissait pas m’étonner, mais peut-être en ce qui concerne cet aspect-là des événements aussi étais-je bien trop occupé à me battre contre les frelons qui s’échappaient de la bibliothèque pour prendre le temps de m’interroger à ce sujet. Pendant tout le temps que je luttais, afin de prendre le mal à la racine et de le détruire, je cherchais à déterminer où pouvait bien se trouver le nid des frelons, mais en vain. Et, cependant que je le cherchais, je devais bien supposer que, peut-être, il n’y avait tout simplement pas de nid ou alors, mais c’est seulement à présent que je fais cette dernière hypothèse, que le nid, c’était la bibliothèque, et qu’ils ne provenaient donc pas, ces frelons, d’un quelconque nid comme les frelons asiatiques ordinaires, mais des livres, en sorte que ce contre quoi je me battais, ce n’étaient pas de banals frelons, c’étaient des frelons littéraires.