Fusées vers la lune
blême par suite
et morte sélène
on a vu des êtres s’envoler
pour ne jamais plus revenir
ou s’endormir en chemin
et dériver alors dans l’espace
où finissent les choses
où finissent les choses ?
et vers quel dehors se tourner
quand tout semble ainsi que propulsé
banal, à la portée, là, tellement là
dans ma main la sphère que je tins
fruit des dieux ambigus
quand les cieux ne le sont plus
à quoi bon l’aventure ?
De la vie (c’est une façon de parler), je voudrais ne retenir que les mélodies simples et vraies des chansons de Gabriel Fauré, leur sincérité qui semble à mes oreilles inouïe. Parfois, quand on pense au peu temps qui nous sépare, on s’étonne : comment se fait-il qu’en si peu de temps ? Qu’en si peu de temps, quoi ? Que toute une époque se soit vue engloutie. Pas une époque, non, une certaine façon de concevoir la vie que l’art manifeste avec la limpidité des mélodies de Gabriel Fauré. Par exemple. Une certaine façon de concevoir, c’est-à-dire : une civilisation. Et il peut y avoir des civilisations individuelles, idiosyncratiques, il n’est pas nécessaire que les civilisations prennent la forme de ces vastes et violents empires qui font trembler le monde à mesure qu’ils respirent, elles peuvent être choses plus légères, plus discrètes, plus précieuses, plus précises, plus fragiles aussi. On pourrait s’imaginer quelque chose comme une tribu étrange au cœur de la ville, une famille heureuse, ou se la représenter jouant au tennis sur la pelouse d’une maison de campagne comme dans un roman de Virginia Woolf ou un film avec Helena Bonham Carter, mais ne suis-je pas, moi aussi, une civilisation à moi tout seul ? Idiosyncrasie, oui, propre, particulier, risquons aussi ce mot bizarre à nos contemporaines oreilles : unique. À croire que, habitués comme nous le sommes à la reproductibilité que rien n’empêche d’être infinie des objets, ce soit désormais sur ce modèle-là que nous concevons les personnes et leurs expressions, à l’infini reproductibles, pareilles les unes aux autres, banales, jetables, négligeables. Quelque chose dans la voix, au contraire, une diction claire, l’articulé d’une bouche qui ne craint pas de faire entendre ce qu’elle dit, — clarté de la parole. « Tout en chantant sur le mode mineur / L’amour vainqueur et la vie opportune, / Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur / Et leur chanson se mêle au clair de lune. » Ce matin, ainsi, ce qui m’a le plus déplu chez ce faux ramoneur et vrai escroc qui est venu perturber ma chantante plénitude, ce ne fut pas tant le goût vulgaire de la rapine, de l’entourloupe, de la fraude, mais la mauvaise haleine.