Je peux laisser une empreinte noire dans le soleil ou est-ce mon ombre ? J’ai chaud, et puis j’ai froid, et puis j’ai chaud, non, je n’ai pas chaud et puis, mais un rayon de soleil vient nous réchauffer, non pas le cœur, dis-je à Daphné, non pas le cœur, non, nos cœurs n’ont pas besoin d’être réchauffés, mais les os, les os, oui. J’écarquille les yeux afin d’y voir plus clair, mais cela ne sert à rien. Est-ce à dire que tout ce que j’ai besoin de savoir, je le sais déjà ? Non, je ne sais rien. C’est tout. J’essaie de savoir, j’essaie de comprendre, j’essaie de sentir, j’essaie de vivre, j’essaie d’écrire. Parfois, l’acte et le fruit s’épousent, alors on peut dire « Il y a une expérience », « Je fais une expérience ». L’effondrement des statistiques de lecture de mon journal, en un sens, m’effraie — comment se fait-il que, depuis quelque temps, presque plus personne ne vienne me lire ? est-ce l’effet d’un algorithme malfaisant ? suis-je soudain devenu d’un soporifique ennui ? n’ai-je plus rien à dire et tout le monde le voit-il, tout le monde sauf moi ? à toutes ces questions, il est possible de répondre oui, c’est possible, oui — mais, en un autre sens, cela me laisse parfaitement indifférent, et je me répète ce qui est un des leitmotivs de mon écriture : quand même personne — absolument personne — ne me lirait, j’écrirais toujours, et bientôt, oui, bientôt, sans doute, vais-je pouvoir éprouver la vérité de cet aphorisme programmatique. Vu G., hier au soir. Plus rien ne devrait entraver la parution de la Vie sociale. Enfin. J’en suis heureux, terriblement heureux. (Ne questionnons pas la pertinence de cet adverbe : « terriblement ».) Heureux, notamment, que ce livre se fasse avec lui, à cause de l’amitié qu’il y a entre nous (en tout cas, moi, j’en ai pour lui, de l’amitié), et grâce à laquelle le livre n’est pas un objet professionnel, un produit de l’industrie culturelle, mais un moment de la vie. Ce n’est pas en tant que marchandise, évidemment, que le livre me paraît indépassable — en tant que marchandise, comme toutes les marchandises, le livre en tant que concept et objet doit être détruit —, mais en tant que moment de la vie, comme les plantes dont les racines sont bien plus étendues que la tige et les feuilles, qui vont bien plus loin en profondeur dans la terre qu’en hauteur au-dessus de la surface du sol. Or, cela, quand même ce le serait en effet dans les faits, qui voudrait que ce fût dépassé ?