Couru cinq fois six égalent trente kilomètres et écrit circa quatre-vingt mille signes cette semaine. L’un et l’autre nombres sont-ils liés ? Je n’en sais rien. Je ne crois pas. Je pense que oui. C’est évident. Il y a de l’énergie, et de la joie. Et c’est bien cela qui compte. Courir, écrire, je suis une avant-garde à moi tout seul. L’avant-garde de quoi ? Je ne sais pas. Peut-être que l’avenir le saura et si ce n’est pas le cas, alors tant pis, moi, je ne serai plus là. Parlé longuement avec P. au téléphone, de cela notamment — c’est-à-dire de l’indifférence générale dans laquelle je fais les choses et qui n’est pas une figure de rhétorique mais une réalité —, et de ceci encore qu’il n’y a pas de rancoeur, qu’il n’y a que de la joie. En ce moment, en tout cas. Est-ce pour cette raison que j’ai quelque chose à dire ? Mais, je n’ai rien à dire. J’écris, c’est tout. Dans la nuit, au lieu d’aller me coucher, ainsi, je me suis mis à écrire. Un chapitre de plus dont je n’avais pas l’idée, mais dans ma tête — c’est une façon de parler —, une chose s’enchaînant à une autre, la fleur a fini par éclore et j’étais là, dans la nuit, à taper comme un fou sur les touches de mon clavier, avec un tel entrain, une telle détermination à l’indétermination que j’ai cru que c’était moi, le bruit que je faisais, qui avait réveillé Daphné. Mais elle est retournée se coucher sans même venir me voir. Alors j’ai continué jusqu’à épuisement du délire — je crois que c’est ainsi qu’il faut le dire. À certains moments, tout semble conspirer à former un sens dont on n’avait pas idée. Mais pourquoi est-ce que j’emploie cette forme impersonnelle, on ? Non, c’est moi, il faut dire je, pourquoi aurais-je honte (onte ? — on dirait un néologisme post-heideggerien) de dire je ? Qui d’autre parle que moi ? En ce moment, tout me semble conspirer à écrire, comme si je parvenais à saisir ensemble des fils qui paraissent n’avoir aucune relation entre eux, même pas lointaine, mais ils se nouent parfaitement, tellement qu’on ne voit plus les nœuds, on dirait un seul et long fil d’Ariane qui me guide au cœur du labyrinthe. J’essaie de me tenir disponible. Et je fais un geste inverse à celui d’hier. Les deux bras écartés, le pouce et l’index de chaque main se touchent comme s’ils attrapaient les fils, les autres doigts en étoile, avant que les deux se rapprochent enfin mimant le nœud. Aussi, toutes les ruminations trouvant enfin leur expression, ne ruminé-je plus.