Ce matin, sans je ne comprenne très bien comment, quoique je sache très bien pourquoi, je me suis retrouvé à regarder une vidéo où l’on pouvait voir Maylis de Kerangal parler. Ce qu’elle disait, je n’en ai quasi aucun souvenir, mais je me souviens que j’ai été étonné de voir que c’était à cela qu’elle ressemblait. À quoi, autrement qu’à cela, que ce à quoi elle ressemble, donc, m’imaginais-je qu’elle pouvait bien ressembler ? Je n’en ai aucune idée. Je crois que je ne l’avais jamais vue en vidéo, et encore moins dans la vraie vie, mais peut-être que, à cause de sa célébrité, je me faisais une image d’elle qui est sans aucun rapport avec l’image d’elle que les gens ont quand ils la voient pour de bon. C’est inexact, toutefois, je crois : je n’avais pas d’image d’elle. À la place de cette image manquante, avant de la voir ce matin par hasard alors que je cherchais tout à fait autre chose pour le livre que je suis en train d’écrire, il n’y avait qu’un nom et un titre de livre, peut-être, et rien d’autre. Sur les réseaux sociaux, je le note pour m’humilier, parce que, vraiment, je n’en suis pas très fier, j’ai écrit le court texte ironique comique que voici : « Ce matin, pour répondre aux exigences documentaires imposées par le livre que je suis en train d’écrire, j’ai poussé l’implication jusqu’à regarder une vidéo de Maylis de Kerangal. En appuyant sur avance rapide, toutefois ; même les demi-dieux ont leur achilléennes faiblesses. » Ensuite, je veux dire : après ne pas avoir regardé la vidéo de Maylis de Kerangal sur laquelle j’étais tombé par hasard — le message, je l’ai écrit bien plus tard dans la journée —, j’ai écrit le chapitre de tombe. qui m’avait conduit à la vidéo, et puis je suis allé courir. Après être allé courir, et fait mon gainage, j’ai relu le chapitre que j’avais écrit, corrigé certaines erreurs, précisé certains passages, ajouté quelques phrases, en ai retranché d’autres, et puis j’ai déjeuné d’un bol de carottes râpées, d’une boîte de filets de maquereaux, d’un peu de pain et d’un autre bol (plus petit celui-là) de compote de pommes. Ce chapitre que j’avais prévu d’écrire aujourd’hui n’est pas tout à fait comme j’avais prévu qu’il serait, non, je crois qu’il est encore meilleur tel qu’il est. Il est censé être le dernier chapitre de cette première partie de l’ouvrage, mais je ne sais pas s’il le sera finalement. En tout cas, il est là, et je ne saurais dire autrement que comme ceci : « Je suis heureux. », tout bêtement, le bonheur (c’est un pléonasme, mais je ne puis faire autrement, comme l’écrivait Wittgenstein, je cite de mémoire cette phrase que j’aime tout particulièrement : « La limite de notre langage se montre dans l’impossibilité qu’il y a à décrire le fait qui correspond à la phrase (en est la traduction) sans répéter la phrase. » Et, entre parenthèse, si mes souvenirs sont exacts, il ajoutait : « (Ceci est la solution kantienne du problème de la philosophie.) ») que je ressens à l’écriture de ce livre. Plusieurs raisons à cela : a. je me suis fréquemment dit que je n’écrirai plus de fiction, plus de roman ; b. j’ai fréquemment douté de mes capacités à écrire un autre roman (même si, comme mes précédents romans, celui-ci ne ressemble peut-être pas tout à fait à ce que l’on s’attend à trouver sous la couverture d’un livre où il y a écrit « roman », je dirais bien sous la couverture d’un roman de Maylis de Kerangal, pour donner de la cohérence à ce que j’écris, mais je n’ai jamais lu Maylis de Kerangal, ni ses romans ni le reste, si elle écrit autre chose que des romans, je tiens ainsi à préciser que ceci n’est pas une attaque contre Maylis de Kerangal, je relate simplement des faits et, ayant beaucoup de mal à me prendre trop longtemps au sérieux, je les relate avec ironie, voire comique) ; mais surtout, c. j’aime profondément ce que je fais, et cela me procure un sentiment de plénitude qui est sans commune mesure avec les expériences ordinaires que l’on peut faire et, si cette plénitude n’est pas sans douleurs, elle n’en est que plus pleine (encore un pléonasme, mais Ludwig a dit que je pouvais). Hier, au détour d’un courrier électronique, G. m’a dit tout le bien qu’il pensait de ce qu’il avait lu de tombe., « tout le bien que je pense », c’est son expression, je la cite, et cela me rend d’autant plus heureux que je ne lui ai rien demandé (pour l’instant). À présent, il va falloir que je relise tout ce que je viens d’écrire (circa 90000 signes) et que j’envisage comment je vais raconter ce qu’il me semble que je dois raconter ensuite et ce que je vais raconter ensuite et dont je n’ai absolument aucune idée. Les idées sont les étages d’un immeuble qui se superposent dans ma tête. Et je n’aime pas tellement cette métaphore.