11.5.24

Écrire des poèmes à propos des feuilles des arbres, directement sur elles ou en traçant les phrases autour, comme John Cage le faisait avec ses cailloux, en dessinant, dans un monde obsédé par la violence, où l’amitié est un mensonge, la famille, un carcan, et l’identité (raciale, ethnique, sexuelle, nationale, il y en a tant qu’on perd son temps en les énumérant), une prison, n’est-ce pas — mais sérieusement — l’attitude la plus sensée qui soit ? Tout le reste, comparé, ne semble-t-il pas délirant, comme frappé par une foudre insignifiante tombée du ciel de la bêtise ? Ce n’était pas moi qui jouais le rôle, mais je me suis imaginé quelqu’un — pas un poète, non tout simplement quelqu’un, sans autre qualité — qui écrirait ainsi, des phrases sans bannière, sans totem, sans autorité suprême, ni croix celtique ni keffieh ni drapeau bariolé, des phrases qui sembleraient ne reposer sur rien, aucun principe autre qu’elles-mêmes, sans ordre que le gré du vent, le fil du temps, le passage et le retour des saisons. Un regard juste, juste posé sur les choses, qui ne cherche pas à les altérer, pas à en modifier le cours, est-il encore possible ? Et qui est capable d’une telle simplicité, laquelle s’avoue sans doctrine, sans dogme, sans transcendance, ne se réclame d’aucun accès privilégié à la vérité, mais consent à vivre ? Même pas à la vie, — simplement à vivre. Tellement de raisons de désespérer, de se jeter la face contre terre qu’on frappera de ses poings, de ses pieds, mais pas une qui me convienne, non, je n’attends rien. C’est-à-dire : je veux être sans attente, je veux n’être rien, que cette plage d’existence-là, qui commença tel jour et s’achèvera je ne sais quand, la durée entre les deux dates, cette étendue d’être-là, occupant cet espace, m’occuper de cet espace, m’en soucier, y faire attention, en prendre soin. Quoi d’autre, en effet, sinon, puisque tout est faux, trompeur, tronqué, truqueur ? Et je dis ce que je veux dire : je n’ai pas écrit de poème à propos des feuilles dans arbres, des feuilles tombées des arbres, je n’ai pas tracé autour d’elles les traits de leur présence, je n’ai pas cherché mes cailloux à moi, coquillages cueillis sur la plage pour dessiner l’ontologie de leurs contours, j’en ai envisagé la possibilité, j’en ai fait l’expérience de pensée, comparant l’existant à cette éventualité, et je n’y ai vu nul défaitisme, aucun renoncement, plutôt la recherche du geste juste, comme de la note juste (le regard juste, ai-je dit à l’instant). Juste le juste.