13.5.24

Pas grand-chose. Soudain, je me demande : si je pouvais être qui je veux, sans restriction aucune, qui deviendrais-je ? Et la réponse, l’unique, vient toute seule : moi. Ce qui ne signifie pas que je ne me trouve sans nul défaut, loin s’en faut, ce n’est pas la question, en tout cas, ce n’est pas la réponse, mais qui puis-je désirer être sinon moi-même ? « Être » alors, pas au sens d’une entité qui ne varie jamais, mais au sens le plus simple de ce là que j’occupe le temps de ma vie. De toutes les vies qu’on s’efforce de me présenter chaque jour comme éminemment désirables, à vrai dire, aucune ne m’excite. Pourtant, cela ne signifie pas que nulle vie ne m’excite en soi, mais peut-être pas celles qui excitent mes contemporains, tout simplement. Est-ce d’une telle simplicité ? Est-ce la question ?  Non. Ce que je veux dire, c’est : Regarde les vies qu’il t’est possible de vivre et imagine à présent toutes celles que tu pourrais vivre, toutes les vies possibles à vivre et qui ne le seront jamais parce qu’on se satisfait du stock en circulation quand vivre, précisément, c’est chercher ce qui n’a jamais été vécu. À l’artiste infractrice, qui enfreint des règles qui lui préexistent, répond la figure, autrement plus désirable à mes yeux, me suis-je dit, ce matin, cependant que j’étais en train de courir, de l’artiste inventeuse, qui imagine quelque chose qui n’a jamais eu lieu, des règles nouvelles pour ses vies nouvelles. Mais peut-être faudra-t-il commencer par se moquer de soi, conscient que l’on sera de ce que l’on n’est que ce soi, fini et limité, qui débute ici et s’arrête là, commença naguère et bientôt finira, faillible, faible, perfectible et toujours à parfaire. Ne pas se prendre au sérieux, c’est-à-dire : ne pas se laisser prendre au sérieux de l’époque. Qui s’y laisse prendre, en effet, troque l’utopie pour des formes de vies usagées, à la réalité maussade, et dépassée. Il est facile d’enfreindre des règles, mais en inventer et se les imposer, à soi-même, pour commencer, c’est tout un numéro d’équilibriste. D’où viennent, d’ailleurs, les formes de vies inédites ? La nouvelle règle, ce n’était pas courir, ce matin, mais quelque chose prenait sens à force de tourner toujours dans le même sens. Des kilomètres plus des kilomètres sans autre visée, sans autre finalité qu’eux-mêmes. Sans autre finalité qu’eux-mêmes, vraiment ? J’entends : des kilomètres qui s’épuisent en m’épuisant. Est-ce le but ? Non, j’étais fatigué avant d’aller courir (pas réveillé) et, ce n’était pas l’éveil que d’être là. Alors quoi ? Eh bien, simplement être là. Façon de répondre aussi aux murmures de désespoir (de désutopie) que je pousse quand je me mesure la bedaine. La règle de Lesbos me lèche le nombril. Et chaque pas que je fais me semble être un combat gagné contre l’envie d’insulter le monde entier alors que le seul coupable, c’est moi. Coupable de quoi ? De tout. Mais comment peux-tu vouloir n’être que toi si le coupable, c’est toi ?