je n’ai pas le sentiment d’exister
ni celui d’avoir disparu
qui suis-je ?
Et, à la vérité, je n’ai pas la réponse à cette énigme. Si je l’avais, serait-ce encore une énigme ? Ne serait-ce pas plutôt une vulgaire petite devinette ? Possible. Ces quelques lignes, je les ai tracées sur une feuille de papier, sans penser à rien, simplement pour écrire, et quand je me suis trouvé face à elles, après les avoir écrites, les découvrant comme si elles n’étaient pas de moi, mais d’un autre, comme si ce n’était pas moi, mais un autre, qui les avait écrites, ce qui est possible, oui, toujours possible, quoique simples, pourtant, elles m’ont paru étranges et belles, sans que je sache très bien pourquoi, pour le savoir, en effet, il m’eût fallu connaître la réponse à l’énigme, mais alors ce n’eût pas été une énigme, et caetera ad infinitum. Ne se perd-on pas un peu trop vite dans le mirage de l’infini, comme s’il suffisait de répéter quelque chose — disons, une phrase, une mélodie, un geste — un certain nombre de fois, fût-il grand, ce nombre, un certain nombre de fois à l’identique pour y atteindre ? Alors qu’on en est loin, ne crois-tu pas ? Et, à la vérité, bis, répétant à l’identique quelque chose — disons, une phrase, une mélodie, un geste —, ne s’éloigne-t-on pas d’autant — à chaque répétition — de l’infini ? On pourrait continuer indéfiniment, mais ce serait toujours sans commune mesure avec l’infini, non ? Tandis qu’une question qui se pose à la vérité, ter, c’est-à-dire : une question qui se pose vraiment, une question à laquelle la réponse n’existe pas encore et, peut-être, — qui sait ? — n’existera jamais, n’est-ce pas le sûr chemin de l’infini ? Ou, s’il ne l’est, sûr, parce qu’il n’y a probablement aucun chemin qui le soit, sûr, sinon, ce ne serait pas un chemin, mais une autoroute, et alors, l’insécurité ne serait que routière, ce serait l’accident, pas la perte, l’égarement, la chute dans le néant, badaboum, du moins une piste, un pas en avant ou de côté, histoire de changer d’air, de s’envoyer promener, de voyager, de voir du pays, et se dépayser. Oh, le beau pays que celui de nulle part. Ensuite, la feuille sur laquelle j’avais écrit l’énigme, j’en ai fait une boule de papier et je l’ai jetée dans la pièce à côté. M’éloignais-je ce faisant de la réponse à l’énigme ? Comme si c’était là qu’elle se trouvait. Mais alors où ? Eh bien, comme au pays : nulle part. J’aime à regarder les gens passer sur le boulevard. Non que le spectacle d’êtres qui vont à la recherche d’une bière à boire ou d’un kebab à avaler, ou bien tout simplement pressés ou bien déjà pleins de bières et de kebabs, soit un spectacle édifiant, mais, malgré les apparences, un jour, urbanisme ou cataclysme, tout cela va s’arrêter, et c’est cette idée qui me semble fascinante : que la fin soit certaine. Que la certitude de la fin n’empêche personne de s’agiter, comme ces gens qui passent sous mes fenêtres qui donnent sur le boulevard, la cause en est-elle qu’ils n’en ont pas conscience ou qu’ils n’en ont que faire et que, même s’ils en avaient conscience, ils n’en auraient que faire ? C’est si loin l’infini, quand ta vie s’arrête comme un claquement de doigt. Est-ce la solution de l’énigme ?