Combien de degrés me séparent-ils du mal ? Degrés de l’escalier, degrés de la séparation, tout pas en avant revient-il à faire un pas en arrière ? Qui sait ? Ce matin, plutôt que de me plonger dans les ténèbres de la réponse à la question, j’ai préféré sortir de chez moi, et marcher. Pour aller n’importe où, peu m’importait, tout ce que je voulais, c’était ne pas demeurer là où j’étais, avec mes pensées, mes pensées noires comme le mal dans lequel on s’enfonce quand on ne sait plus quoi faire, quand on est perdu, quand on s’est perdu, marcher afin de ne pas demeurer avec moi-même, ce qui, m’objectera-t-on, est impossible, on est toujours là où l’on est, c’est inévitable, on ne peut pas s’éviter, et à quoi, moi, à mon tour, je répondrai tout simplement : oui et non. Il faut savoir s’échapper. De là où l’on est ainsi que de soi-même. Renonçant alors, par anticipation et déplacement, à la détestation, j’ai fait un tour autour d’un point inexistant situé quelque part dans l’espace et le temps pour enfin revenir chez moi où, si je ne m’étais pas enfui pour échapper à moi-même, rien n’aurait changé. Est-ce qu’une fois rentré, tout avait changé ? On va voir. Un peu plus tard dans la journée, pour m’extirper du désœuvrement où j’étais tombé, j’ai lu le livre de Gérard Guégan, le Chant des livres, que je m’étais promis de lire depuis qu’il me l’avait envoyé, et j’ai écrit un article à son sujet. L’écrivant, je me suis dit que je devrais plus me consacrer à l’admiration qu’à la détestation, comme c’est un peu mon penchant, je crois, être méchant, — je sais que c’est l’exercice de la raison qui veut cela, mais ce n’est pas une raison —, parce que l’admiration nous sort de nous-mêmes tandis que la détestation nous y maintient, à nos corps défendant, parfois, même. Me suis-je débarrassé du mal ? Mais on ne s’en débarrasse pas. Non. Tout ce que je puis dire, et cela pourra sembler étrange, étrange alors, je serai, tout ce que je puis dire, c’est que le mal n’est pas en moi. Et qu’il faut que je lutte chaque jour pour que le mal n’entre pas en moi parce que le mal est partout, tout autour de moi, qui rôde, qui me guette comme sa proie. Ne sommes-nous pas tous en proie au mal ? Et je ne délire pas, non, je ne suis pas soudain tombé dans je ne sais quel folie démonologique, non, je sais très bien comment est le monde, je vois très bien le monde tel qu’il est, et si je ne puis pas y échapper — nous ne sommes jamais que les produits de notre époque —, je puis m’échapper, changer de sujet, changer de style, changer de vie. Demain dimanche, c’est aïoli.