Sentiment double : de n’avoir pas bougé et d’être parti très loin. Pourtant, c’est toujours ce même fragment d’univers délimité par la géographie de la ville où je vis que je regarde. Et, depuis hier, rien n’a changé. Ni le temps ni l’espace. Je suis exactement au même endroit, je fais exactement la même chose, regarde dans la même direction, écris au même sujet. Vraiment ? Dans ce texte que j’ai commencé hier, tout cela, je l’écris. Et puis, je dessine ce que je vois. Pas la totalité de ce que je vois, non, cela ne se peut pas, mais ce fragment du fragment de l’univers sur lequel je m’attarde. Bien ou mal dessiné, dessiner bien ou mal, cela m’est égal. Le dessin me permet de montrer le fragment de l’univers que je regarde, ce qui m’intéresse là, en l’indiquant avec précision, ou alors ce sur quoi je veux rester, ce devant quoi je ralentis afin de prendre le temps de le déchiffrer. Je la trouve belle, cette attention que l’on peut porter aux choses qui nous entourent parce qu’en leur portant cette attention, on perçoit qu’elles ne nous entourent pas, non, les choses ; nous ne sommes pas le centre d’un espace clos qui se détermine en fonction de nous, nous sommes parmi les choses, avec l’espace, partout, avec tout. Je regarde ces toits à la Mansart, et ce sont d’autres vies que la mienne qui se signalent sans aucune manifestation de leur singularité, des vies sans alarme, sans mouvement, n’était le bruit presque continu qui monte du boulevard (sirènes absurdes, véhicules qui vont et viennent), tout semblerait calme, existant dans une parfaite indifférence à ces multiples manifestations d’urgence, de puissance qui, bien qu’elles assourdissent ce qu’elles traversent, ne parviennent pas à dissimuler qu’elles sont d’insignifiantes nuisances. Je me détourne d’elles, mon regard s’accroche aux toits, épouse leur rythme, toutes ces vies, là, auxquelles on peut rêver, toutes ces histoires lovées qui passent ignorées, mais réelles, pourtant. Il y a presque quelque chose d’exotique à observer un lieu si familier. Et je pense : Rien ne me distingue du reste de l’univers, rien ne m’en sépare, rien ne m’en éloigne. Quand il m’arrive de vouloir m’enfuir, ce n’est pas pour quitter le monde, au profit d’on ne sait quel autre, mais pour rejoindre plutôt ce monde-ci, abandonner toute relation avec lui, toute forme de séparation d’avec lui, et être le moins possible, c’est-à-dire : être le moins moi possible. Mon moi se dilue dans l’humidité de l’atmosphère. Regarde, je suis comme la pluie.