QUIÉTUDE DÉCENCE RESPECT. Y avait-il écrit en capitales d’imprimerie, bien rouges, bien lisibles, à l’entrée du cimetière du Montparnasse, c’est ce que j’ai supposé, à l’intention des touristes en visite parmi les morts enterrés. En la voyant prendre la pose à côté de la tombe de Marguerite Duras, avec son air le plus intelligent et, aux lèvres, cet indicible petit sourire timide que n’aurait pas renié Mora Lisa, je suppose que c’était son modèle, elle avait dû cocher toutes les cases dans le guide de la parfaite Parisienne, je n’ai pas compris laquelle de ces règles de vie pourtant simples, élémentaires, voire primitives, dirait-on en effet si ce mot n’était pas devenu étrangement connoté, la touriste s’imaginait être en train d’observer sous l’objectif de son compagnon. Il faut dire que ces règles — quiétude, décence, respect — ne valent plus grand-chose. Partout, il semble que se faire remarquer, parler fort, et adopter un comportement grossier, pour ne pas dire aguicheur, voire putassier, soit devenu la norme. Comment s’étonnerait-on ensuite — par réaction, pour ainsi dire — du fait que des directeurs de conscience plus ou moins bien intentionnés parviennent à endoctriner des masses toujours plus nombreuses en vantant les mérites de la modestie, de la pudeur et de la soumission ? La vérité, c’est que la libération des mœurs à laquelle on a assisté au siècle dernier n’a jamais été pensée pour des individus livrés à eux-mêmes dans une forme consommée d’indigence morale, et qu’il y a loin du philosophe artiste nietzschéen créateur de valeurs à la pipelette postmoderniste qui tient lieu de guide spirituel aux foules que la vaine recherche d’elles-mêmes a égarées. Dans l’admiration que l’on a pour soi-même, on fait n’importe quoi, s’imaginant être quelqu’un d’indispensable, comme si le monde que l’on se permettait de visiter à vol d’avion attendait notre venue comme le retour du messie. La vérité, bis, c’est qu’on n’a pas les codes, et qu’on promène sa vulgarité comme une aveugle marque de distinction. Souvent, médusé, je regarde ces gens perdus dans l’expression d’eux-mêmes : ils s’aventurent sur des chemins des milliards de fois empruntés, s’expriment dans une lingua universalis qui ne vaut guère mieux qu’un patois global, affichent leur morgue banale à la recherche du énième hamburger frites de la journée. Ce serait consternant si ce n’était pas devenu normal ; le printemps n’est pas la saison du renouveau, ni des amours éternelles que l’on se promet avant de partir en vacances, mais du retour de ces hordes barbares qui voyagent à bas coût. Heureusement, depuis des semaines, il pleut, ce qui cache un peu à la face du monde, c’est-à-dire de Paris, la disgrâce du tourisme de masse. Quand la goutte froide qui plane dans le ciel sera allée traîner ses humides tendresses ailleurs, tout sera révélé sous la lumière crue de la canicule : peaux rouges brûlées de soleil, décolletés plongeants sur de surabondantes poitrines fumées, auréoles sous les bras et doigts de pieds apparents témoigneront du mépris auquel une civilisation qui ne s’aime même plus elle-même consent pour quelque facile argent. Ainsi va la ville. Ainsi va le monde. Et ma stupide homélie.