Passé la majeure partie de l’après-midi à dormir. Et je ne suis pas certain que ce ne soit pas la meilleure des activités qui s’offrent à moi ces jours-ci. Dormir, dormir, dormir. Ces jours-ci, oui, et les autres aussi ; ne vaudrait-il pas mieux passer le plus clair de son temps à dormir ? C’est-à-dire à rêver, — s’adonner au rêve, à la rêverie, la rêvasserie, termes aux fortes connotations négatives (les augmentatifs en -asse, surtout, sont péjoratifs) qu’il faudrait pourtant embrasser par dépit de l’action, j’entends : en raison du dépit que nous cause l’action, les conséquences de nos actions. Tout le monde veut agir, prendre les commandes, être maître de son destin, présider à ses destinées, que sais-je encore ? Mais comment ne pas voir que c’est par l’échec, avec une régularité qui semble tenir du système, voire de la loi universelle, que se soldent nos actions ? Et comment ne pas douter de l’action même quand celle-ci, comme par l’effet d’un déterminisme fatal, nous conduit à l’échec ? Pour tenter de contrer de tels indésirables, je pourrais m’installer dans le confort du bien, revendiquer l’héritage de l’Humanisme, des Lumières, de la Résistance, toutes ces entités majuscules qui peuplent les mondes moraux comme d’autres, à l’opposé, sont habités par l’Ordre, le Travail, la Nation, mais qui peut sincèrement se laisser leurrer par une telle apparence de sérieux ? Pour n’évoquer que cet aspect, l’Humanisme de Rabelais est plein de grossièretés, on s’y torche, on y pète, on y pisse, on y chie, on y bâfre, on s’y saoule, on y rit, on s’y moque de tout, de toutes les autorités, de la nature même de l’autorité, et de toutes les prétentions à accéder à la vérité par des moyens spéciaux qui échapperaient au commun des mortels, on ne peut rien fonder sur lui, et c’est cette absence de fondation qui, précisément, constitue une chance. Si nous ne voulons pas nous condamner à vivre dans l’illusion et le mensonge, en l’empire du faux, il faut avoir conscience que nous reposons sur le vide.