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Je me trouve ici quand je voudrais être ailleurs, ergo je trouve le temps long. Tant pis. Je patiente, m’impatiente, traîne, bref : je m’ennuie. Je regarde un film que j’ai déjà vu, m’endors devant un autre que je n’ai jamais vu. J’attends quelque chose qui viendra un peu plus tard. Le temps entre le moment présent et cet un-peu-plus-tard semble une dimension inutile, j’aimerais m’en passer, mais ce n’est pas possible : pour accélérer le temps, il fallût qu’il eût déjà lieu. Le devrais-je encore ? je ne sais pas, mais je m’étonne de la nullité du film dont la critique m’aura pourtant vanté les mérites artistiques. Peut-être que c’est moi qui ne comprends rien, peut-être qu’on passe son temps à me raconter n’importe quoi. Il faudrait pouvoir, comme Nanni qui, dans Caro diario, poursuit jusque dans son lit le critique qui a fait l’éloge du navet ultra-violent et imbécile Henry, pioggia di sangue et l’oblige à écouter jusqu’au bout la lecture qu’il lui fait de son propre article, traquer la nullité jusque dans ses derniers retranchements. Mais cela n’exige-t-il pas un degré de certitude esthétique qui n’est pas le nôtre ? Ou plutôt, pas le mien. Jusque dans son dernier film, Il sol dell’avvenire, l’alter ego de Moretti se trouve toujours confronté à la nullité, nullité contre laquelle il se refuse à désarmer et, quand même le combat serait déséquilibré, pour lui, il n’est jamais perdu d’avance. Pourtant, c’est toujours la défaite. Ou la victoire. Parce que, en vérité, défaite et victoire sont une. Cette dernière phrase, écrite dans un style passablement oraculaire, je la regrette déjà. Ce n’est pas qu’elle soit littéralement fausse, mais ce style, mon Dieu, ce style : si l’on avait conservé l’intégralité des textes d’Héraclite, la face de la culture en serait changée. Parfois, on parodie l’idée que l’on se fait de l’intelligence sans même le vouloir, sans même s’en apercevoir, comme si la vérité était une sentence aussi définitive qu’incompréhensible qui tombe du ciel des idées sur le nez des mortels. La vérité, c’est que toutes les vérités sont provisoires. Et voilà que je recommence. Peut-être vaut-il mieux que je me taise. Pour aujourd’hui.