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J’ai rêvé de L. cette nuit. C. me la présentait à l’occasion d’un dîner auquel il m’avait invité. (C. était mon ami quand j’étais étudiant en philosophie et il lui est arrivé de sortir avec une L., mais il ne sortait pas avec la L. du rêve. — Ainsi, plusieurs plans se superposaient dans le rêve : le passé de mes études et le présent du vécu onirique, une espèce de réalité — j’ai connu C. — et une autre dimension, un peu plus étrange : comme nombre de personnes que nous « connaissons » désormais, je n’ai jamais rencontré L. in persona.) C. habitait dans un bungalow en briques de la couleur rouge de celles du Château de Lonné. Chaque bungalow formait la moitié d’une structure plus grande, horizontales alcôves symétriques donnant sur des jardins aux allures tropicales.  Le dîner n’avait pas lieu chez C., mais ailleurs, je ne sais où. Nous étions en train de dîner quand, et j’ignore pourquoi, L. sembla fâchée et quitta subitement le repas. Je partis à sa recherche, mais ne parvins pas à la trouver. J’errais de bungalow en bungalow, demandant aux voisins de C. si, par hasard, ils ne l’avaient pas vue, mais tous me répondirent que non, et ne semblaient même pas la connaître. Au cours de mes recherches, je visitai en compagnie d’Elon Musk son usine à fabriquer je ne sais pas quoi, tout ce que je sais, c’est que j’avais l’impression agaçante de perdre mon temps avec un imbécile. Finalement, je retrouvai L. et, à ce moment-là précisément, m’éveillai. J’ai noté ce rêve ce matin, dès le réveil. Toute la journée, je l’ai laissé dans un document ouvert non enregistré, me demandant si j’allais le copier dans mon journal, le laisser tel quel dans ce fichier, ou simplement l’effacer. Je ne sais pas pourquoi j’ai finalement décidé de le copier ici. La relation que j’entretiens avec mes rêves est complexe : souvent, il m’arrive de trouver que je ne rêve pas suffisamment (ce qui est certainement un abus de langage, je devrais dire que je ne me souviens pas assez de mes rêves à mon goût), quand je m’en souviens, j’accorde une grande importance à mes rêves mais, même si j’ai lu la Traumdeutung de Freud, je ne me fie pas à ses méthodes d’interprétation, les rêves sont des histoires qui, au réveil, nous apparaissent condensées, comme si nous avions vécu leur temporalité de manière instantanée, comme s’ils étaient à la fois dans la durée et sans durée, leur signification émane de la relation même, il n’y a pas un sens second, tardif, qui viendrait après coup expliquer le rêve, toute la compréhension du rêve est dans le rêve, quand même on peut faire appel à des données extra-oniriques pour expliquer des éléments du rêves, ces données ne sont pas la clef du rêve, elles n’en donnent pas le sens, et le rêve, il ne suffit pas dire à la fin : « Voilà ce dont vous avez rêvé », c’est tout une vie. Il y a aussi le fantasme, je crois, d’une littérature qui puiserait entièrement dans le rêve, qui ne serait que rêve, qui ne ferait rien d’autre que relater des rêves. Le fantastique a trait au rêve, mais il n’est pas intégralement rêve. Il y entre une tension entre la réalité et la fiction, le rêve et la veille. Cette tension, quand nous nous souvenons de nos rêves au réveil, nous en faisons l’expérience. Parce que, je reviens sur ce que je viens de dire, nous avons alors la notion très claire que, quand même par une méthode herméneutique, on exposerait sa prétendue signification devant nous avec la plus grande limpidité, le rêve proprement dit, le rêver serait laissé de côté ; or, c’est ce qui est le plus important : cette impression au réveil d’avoir voyagé dans un monde tout autre et familier pourtant parce que les protagonistes (au moins, soi-même) sont connus : nous sommes partis très loin dans un monde très proche, très longuement pour un voyage qui n’aura duré qu’une fraction infime de temps. Allé courir, un peu plus tard dans la journée. D’abord, bien. Et puis, de moins en moins. Dommage. Et puis, tout en courant, cette phrase (peut-être pas sous la forme question que je lui donne en écrivant à présent) : Comment se fait-il que nous n’ayons pas le droit de voir ce que nous voyons ? Pourquoi cela, nous l’interdit-on ? Quelle société malade peut-elle bien préférer le non-voir de son idéologie au voir de la vie ? Sur cela, en outre, nous sommes réduits au silence. Si grande est-elle, la force de la loi.