Il y aura bientôt plus de trous que de short dans mon pyjashort, mais quand même il y en aurait plus encore, je continuerais de le porter pour dormir. Il en va de même concernant les chaussures avec lesquelles je cours : elles puent, mais je me dis qu’elles peuvent durer plus longtemps, au moins jusqu’à la fin de l’été. Ce n’est pas que je n’aie pas envie de neuf — hier au soir, un peu avant de m’endormir, j’ai trouvé le cadeau dont je rêvais sans le savoir pour mon anniversaire : un crayon à papier de chez Graf von Faber-Castell, avec capuchon taille-crayon et cache-gomme à vis du même métal, une sorte de perfection scripturaire —, c’est peut-être que je n’ai pas envie de ce neuf-là. Mais de quel neuf, alors ? (J’entends : à part ce crayon nécessaire ?) Je ne sais pas, ou bien justement, je sais : un neuf que je ne sais pas. Est-ce si compliqué à trouver ? Je ne sais pas. — Décidément, je suis incorrigible. — Passé la journée chez M. dans le Perche sarthois. En partant, nous nous arrêtons à l’immense librairie d’occasion perdue au milieu de nulle part qu’elle nous a vantée. Là, en plus du numéro 2 des Cahiers Marcel Proust : « Au bal avec Marcel Proust par la Princesse Bibesco », lequel numéro commence par cette incroyable phrase : « Au milieu du bal où j’ai rencontré Marcel Proust, où il a essayé de me parler, où j’ai tâché de ne pas l’entendre, où je l’ai fui, la pendule que chevauchait le parrain Drosselmayer, le parrain borgne d’un conte d’Hoffmann, a dû sonner minuit imperceptiblement au fond de ma mémoire d’enfant, dans mon royaume qui n’est plus de ce monde : Perpendicule / Va faire ronron, / Avance et recule / Brillant escadron ! / L’horloge plaintive / Va sonner minuit, / La Chouette arrive / Et le Roi s’enfuit… », j’ai fait l’acquisition d’un livre que je n’ai pas vraiment envie de lire, écrit par quelqu’un que je ne connais pas vraiment mais, comme il ne coûtait que quatre euros, je me suis dit : « Après tout, pourquoi pas ? », mais pourquoi pas quoi ? cela non plus, je ne le sais pas, j’ai survolé vaguement les premières pages et je ne me suis senti happé par rien, contrairement à cette incroyable première phrase que, sans doute, seule une princesse peut écrire, mais je me suis dit : « À ce prix-là… », quelle étrange façon de penser, une princesse ne penserait pas comme cela, me dis-je à présent, et donc je regarde des photographies de la Princesse Bibesco glanées sur internet, dont une, qui illustre un article de l’essentiel Point de vue intitulé, je cite : « Marthe Bibesco, princesse roumaine, écrivaine renommée et amie des puissants », dont la légende dit : « Portrait réalisé dans les années 1910 de la princesse Bibesco, alanguie dans ses fourrures, au château de Posada, dans les Carpates. », mais il est vrai que je ne suis pas une princesse, — à mon grand regret. J’en étais là de mes rêveries quand le voisin d’en face, celui qui habite dans la belle maison, a dit à la voisine d’en face, celle qui habite dans la belle maison, la même que lui : « Je t’annonce que la poubelle à verre est pleine ». Ô prosaïque monde, c’est ce que nous nous disons, en effet, avec Nelly : Comment se fait-il que des gens si quelconques habitent une maison si belle ? Ne faut-il pas voir, dans ce fait regrettable, la preuve, l’irréfutable, que c’est l’injustice qui, sans partage, ou du moins pas avec nous, règne en maîtresse impitoyable ? Une théorie grise de vieilles personnes sortent à présent de la maison et, à grand peine, descendent les marches du perron. Il a fait chaud aujourd’hui, mais manifestement pas assez. Amen, dis-je à la fin de ma prière silencieuse, et peu amène.